Douleurs persistantes sans cause évidente 

Certaines douleurs d’allaitement persistantes ne sont pas explicables simplement. Il faut parfois penser que l’origine peut être fonctionnelle ou neuropathique.

EXPOSÉ

Déborah* consulte pour des douleurs d’allaitement, ressenties depuis la naissance de son fils, âgé de 9 semaines. Elle a déjà consulté de nombreux professionnels sans trouver d’explication. Aucune lésion n’est retrouvée à l’examen clinique, l’observation de la tétée et l’examen de l’enfant ne révèlent pas de trouble anatomique ni de trouble de la succion. Une optimisation de la position afin que le bébé soit plus à plat ventre contre sa maman (méthode « Biological Nurturing » [1]) permet d’augmenter la prise en bouche de l’aréole, mais n’apporte aucune amélioration. L’évaluation analogique visuelle de la douleur est de 8/10, sans qu’aucune intervention n’améliore ce niveau de douleur.

Déborah prend une position très crispée durant les tétées, du fait de la douleur. Cela m’amène à rechercher d’éventuelles tensions au niveau dorsal, cervical et pectoral. Toutes ces zones sont relativement tendues après la tétée. Je montre alors à Déborah des exercices à faire avant et entre les tétées afin de détendre les muscles pectoraux et dorsaux et lui propose de consulter pour une prise en charge de ces tensions (kinésithérapie et/ou ostéopathie). Je lui propose aussi de consulter son médecin traitant pour évaluer la possibilité de lui prescrire un dermocorticoïde et de prendre du paracétamol de manière régulière (1 gramme toutes les 6 heures). Nous nous donnons rendez-vous une semaine plus tard afin d’évaluer l’évolution de la situation après la mise en place de ces exercices et traitements.

Une semaine plus tard, aucune amélioration n’est observée. Je reprends alors l’anamnèse et découvre que Déborah a toujours eu les seins hypersensibles, y compris lors des relations sexuelles durant lesquelles le fait d’être touchée au niveau des mamelons a toujours été très douloureux. Par ailleurs, Déborah souffre également de vulvodynies depuis plusieurs années. Elle précise que plusieurs médecins lui ont déjà affirmé que « c’était dans la tête », car l’examen clinique de la vulve a toujours été parfaitement normal. Elle a l’impression de vivre la même chose avec son allaitement.

L’observation attentive de l’aspect global des seins montre le signe d’Asbill qui s’ajoute aux éléments précédents, faisant émettre l’hypothèse de douleurs neuropathiques (allodynies ou douleurs fonctionnelles). Le diagnostic est confirmé par le test du coton-tige, avant et après anesthésie locale du complexe aréolo-mammelonaire par application d’un gel de xylocaïne.

Suite à cette hypothèse, je contacte le gynécologue qui a pris en charge la vulvodynie de Déborah afin de partager avec lui mes observations et d’évaluer la possibilité de mettre en place un traitement par neuroleptiques – amitriptyline (Laroxyl®) ou clonazepam (Rivotril®) – en commençant par 3 gouttes 1 fois par jour et en augmentant tous les 2 ou 3 jours jusqu’à 20 gouttes par jour). Après quelques recherches sur le sujet sur crat.fr et e-lactancia, il accepte de lui prescrire du Rivotril®. Au bout de dix jours de traitement, Déborah fait état d’une nette amélioration, même si la douleur est encore présente. Elle a finalement allaité pendant environ un mois avant de sevrer son fils, car, d’une part, la douleur — même moindre — était toujours présente et surtout, bien que compatible avec l’allaitement, l’idée que son bébé reçoive des médicaments via le lait maternel lui déplaisait. Toutefois, Déborah a été satisfaite d’avoir pu allaiter pendant trois mois au total et d’avoir pu connaître un allaitement plus confortable. Elle a été rassurée de trouver une explication. Le fait d’avoir été entendue et d’avoir « un diagnostic » lui a permis de reprendre confiance en elle et de prendre conscience que, au final, le plus important pour elle était d’avoir une relation pleinement épanouie avec son bébé.

DISCUSSION

La première cause de douleurs durant l’allaitement est une position suboptimale. Aussi, le contrôle et l’optimisation de la position seront toujours l’intervention de première intention. D’autres causes de douleurs peuvent être retrouvées : des lésions, des dermatoses (candidoses, infections bactériennes, eczéma…). Les troubles de la succion chez l’enfant peuvent également engendrer des douleurs chez la mère. D’autres causes plus ou moins fréquentes peuvent être retrouvées comme des tensions musculaires (dorsales ou pectorales). Lorsque l’anamnèse et la clinique ne retrouvent aucune de ces étiologies les plus courantes, cela peut évoquer des causes moins fréquentes, mais néanmoins répertoriées dans les « douleurs persistantes » [3].

En cas de douleurs inexpliquées, il est intéressant de reprendre une anamnèse précise afin de comprendre l’histoire de l’allaitement, l’histoire de la douleur et les antécédents maternels. Par la suite, il est nécessaire de mener un examen clinique attentif incluant un examen général à la recherche d’autres signes de dermatites ou dermatoses, comme de l’eczéma ou du psoriasis. Il sera important d’observer la poitrine et le thorax dénudés, car certains soutiens-gorge d’allaitement très couvrants peuvent masquer des informations importantes, comme le signe d’Asbill. 

Le signe d’Asbill correspond à la présence de capillaires sanguins très visibles sur la peau des seins. Ce signe est très évocateur d’allodynies ou douleurs dites fonctionnelles d’origine neuropathique à l’instar des vulvodynies. Il s’agit d’une sensation douloureuse en réponse à un stimulus tel qu’un effleurement, qui ne devrait normalement pas être douloureux. Une allodynie au niveau des seins peut être isolée ou associée à d’autres manifestations douloureuses, telles qu’un syndrome de l’intestin irritable, une fibromyalgie ou des douleurs pendant les rapports sexuels. Elle peut être également associée à un état de dépression ou d’anxiété [4]. Le diagnostic sera confirmé par le test du coton-tige. Il suffit de frotter légèrement la tête d’un coton-tige (test de l’allodynie mécanique) ou de piquer modérément grâce à une sonde d’exploration (test de détection du seuil douloureux) sur une zone non douloureuse puis sur le site concerné pour comparer. Pour compléter le test, on pourra faire une anesthésie à l’aide d’un gel, d’une crème ou d’un patch. La douleur sera présente malgré l’anesthésie.

Signe d’Asbill : capillaires sanguins très visibles [2]

Une fois le diagnostic posé, la prise en charge demeure complexe. Elle peut reposer sur des traitements neuroleptiques à la dose minimum et inférieure à ce qui est habituellement prescrit dans d’autres indications. La dose pourra être augmentée régulièrement jusqu’à obtenir une amélioration des symptômes. Les sages-femmes ne sont pas habilitées à prescrire ces traitements. Il n’y a pas de contre-indication à la poursuite de l’allaitement [5, 6].

Une étude observationnelle de faible niveau de preuve a également montré une amélioration des symptômes suite à la prescription d’antihistaminiques [3]. À l’heure actuelle, il n’est donc pas possible de recommander cette thérapeutique faute de preuve scientifiquement validée. 

CONCLUSION

Une bonne connaissance des différentes étiologies des douleurs liées à l’allaitement peut permettre d’exclure les causes « habituelles » de douleurs et orienter le diagnostic vers des causes plus marginales. Dans ce cas, une solide anamnèse et un examen clinique attentif seront de bons outils pour préciser l’origine des difficultés. Il n’est pas toujours aisé de trouver une solution permettant de résoudre toutes les difficultés. Néanmoins, les mères se sentent souvent rassurées par le fait d’avoir été entendues et comprises en disposant d’une étiologie connue et reconnue. Cela leur permet de cheminer pour trouver leur solution. Le degré de satisfaction des mères en sera nettement amélioré. L’objectif premier devrait toujours rester de favoriser le bien-être des mamans et des bébés en leur permettant de s’épanouir dans leur relation, qu’il y ait allaitement ou non.


*Le prénom a été modifié.

Céline Dalla Lana, sage-femme, consultante en lactation IBCLC, formatrice, autrice.

L’autrice ne déclare aucun conflit d’intérêts avec l’industrie pharmaceutique, industrielle ou agroalimentaire.

Références bibliographiques

[1] Suzanne Colson. L’allaitement instinctif. Biological nurturing Editions Ressources primordiales. 2021

[2] Muddana A, Asbill D, Jerath M, and Stuebe A. Quantitative Sensory Testing, Antihistamines, and Beta-Blockers for Management of Persistent Breast Pain: A Case Series; Breastfeeding MedicineVol. 13, No. 4 Clinical Research Published Online:1 May 2018https://doi.org/10.1089/bfm.2017.0158

[3] Protocoles cliniques de l’Academy of Breastfeeding Medicine Protocole clinique # 26 Douleur persistante pendant l’allaitement ABM clinical protocol #26: Persistent pain with breastfeeding. Breastfeed Med 2016; 11(2) : 46-53.

[4] Bergbom S, Boersma K, Overmeer T, et al. Relationship among pain catastrophizing, depressed mood, and outcomes across physical therapy treatments. Phys Ther 2011; 91:754–764.

[5] https://www.e-lactancia.org/breastfeeding/clonazepam/product/

[6] https://www.e-lactancia.org/breastfeeding/amitriptyline/product/