Aurore Koechlin. ® D.R. Comment définissez-vous la « norme gynécologique », à laquelle vous associez le concept de « carrière gynécologique » ? Je définis la norme gynécologique comme la norme qui enjoint aux femmes de consulter régulièrement un ou une professionnelle de santé pour le suivi gynécologique, en particulier pour la contraception et le dépistage. La gynécologie médicale est née dans les années 1930, mais la norme gynécologique apparaît dans les années 1960, avec la légalisation de la contraception, accompagnée de sa médicalisation. On passe alors d’une logique de traitement des pathologies à une logique préventive, qui s’applique aussi bien à la prévention des avortements par la contraception qu’à la prévention des cancers par le frottis ou la palpation des seins. Avec mon étude de terrain, menée essentiellement dans deux espaces sociaux bien différents – un service de PMI en Seine-Saint-Denis et une clinique privée d’un des arrondissements les plus riches de Paris -, j’ai voulu montrer la construction sociale qui se cache là où nous ne voudrions voir qu’un destin biologique. Le suivi gynécologique obéit bien à des normes sociales. J’appelle carrière gynécologique le fait d’entrer dans le suivi gynécologique, et de le poursuivre régulièrement, idéalement une fois par an, toute la vie. L’entrée majoritaire dans la carrière gynécologique s’est construite sur la simultanéité avec l’entrée dans la contraception et la sexualité hétérosexuelle. Le monopole de la prescription contraceptive détenu par les professionnels et professionnelles de la gynécologie constitue un instrument très matériel de renforcement de la norme gynécologique. Inversement, la norme préventive repose en grande partie sur l’initiative des patientes. La principale cause de l’arrêt de la carrière gynécologique est l’arrêt de la contraception médicale. La norme gynécologique ne peut dès lors plus s’appuyer sur la norme contraceptive. Ce changement peut créer les conditions d’un décrochage. La ménopause constitue le deuxième moment fort de…
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À Lyon, une consultation dédiée aux ménorragies
Tweet« Les premiers jours de mes règles, je dois changer de tampon toutes les heures, alors je préfère ne pas sortir de chez moi. » « La nuit, c’est le carnage sur les draps ! » « Quand une réunion de travail dure trop longtemps, j’ai peur de laisser des traces de sang sur la chaise. » « Les anémies à répétition, la fatigue, la charge mentale des règles qui me pourrissent la vie, je n’en peux plus… »De tels témoignages, les docteures Giulia Gouy et Lucia Rugeri en recueillent depuis mai 2021. À l’hôpital de la Croix-Rousse (Hospices civils de Lyon), la gynécologue et l’hématologue ont ouvert une consultation dédiée aux ménorragies, une première en France. Chaque vendredi, elles reçoivent une dizaine de patientes de tous âges et venant de la France entière. En quelques heures, ces femmes rencontrent les deux médecins, passent plusieurs examens et se voient proposer une prise en charge. Les ménorragies se définissent par des pertes de sang menstruel supérieures à 80 ml par cycle, à objectiver par un interrogatoire (fréquence des changes, présence de caillots…) et le score de Higham (voir encadré). Il faut aussi envisager la fatigue, une anémie et le retentissement sur la vie privée et professionnelle. En février 2021, le Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF) a mis à jour ses recommandations(1) pour le diagnostic et la prise en charge des ménorragies. Alors pourquoi une telle consultation ? « Parce qu’il y a un sous-diagnostic flagrant des ménorragies et que les femmes concernées souffrent d’une errance médicale considérable, déclare la docteure Giulia Gouy. S’il y a un tabou des règles, alors les règles hémorragiques, c’est carrément l’omerta ! » Et pourtant, 11 à 13 % des femmes en âge de procréer souffrent de ménorragies, et même un quart des plus de 41 ans(2) ! Les hormones en première intention Ce matin gris d’octobre, c’est Olivia*, 20 ans,...



Quand l’objectif n’est pas de nourrir de lait, mais d’amour !
TweetEXPOSÉ Lors d’un précédent cas clinique (voir Profession Sage-Femme n° 282 – Juin 2022), je vous avais présenté la situation d’Ingrid*, à qui un cancer mammaire avait été diagnostiqué à la suite d’une mastite. Suite à ce diagnostic, la prise en charge de ce cancer a nécessité une mastectomie. À ce stade, Ingrid avait déjà sevré son bébé depuis plusieurs mois, mais elle a consulté afin de pouvoir avoir un avis quant à la possibilité d’un allaitement ultérieur. Nous avions alors pu parler de la possibilité d’allaiter avec un seul sein. Ingrid se demandait alors s’il serait possible de mettre son bébé au sein reconstruit même s’il n’y avait pas de lait. Elle voyait cela comme une sorte de revanche sur la mastectomie. Nous avions alors évoqué la possibilité d’une mise au sein à l’aide d’un dispositif d’aide à l’allaitement (DAL), avec ou sans bout de sein en silicone, en fonction de ce qui serait le plus confortable pour elle. Elle semblait rassurée de savoir qu’une possibilité lui était offerte. Ingrid consulte deux ans plus tard. L’objectif de cette entrevue est de revenir sur l’idée émise deux ans plus tôt. Une nouvelle mastectomie du sein controlatéral était programmée du fait d’une masse tumorale détectée lors des examens de surveillance. Une reconstruction était également envisagée et Ingrid, qui se projetait dans une future nouvelle maternité, évoquait sa tristesse de ne pas pouvoir revivre le contact physique inhérent à l’allaitement. Elle devait déjà faire le deuil de pouvoir donner son lait à un futur bébé, mais souhaitait ne pas devoir renoncer à ce contact physique, charnel. Sa demande était donc la suivante : « Nous avions parlé d’utiliser un DAL sur le sein reconstruit il y a deux ans. Pensez-vous qu’il serait possible d’envisager un “allaitement au DAL” sur les deux seins ? » Une telle situation...


Ménorragies, quoi de neuf ?
Tweet« Suite à la crise des progestatifs et devant le besoin de mieux considérer les alternatives à l’hystérectomie, il était nécessaire de proposer de nouvelles recommandations concernant la prise en charge des ménorragies. » Le professeur Jean-Luc Brun, chirurgien gynécologue au CHU de Bordeaux, a coordonné le texte publié sous l’égide du Collège national des gynécologues-obstétriciens français (CNGOF) en 2022 (1). Il remplace donc les recommandations de 2008 et répond à 37 questions selon la méthodologie Pico-Grade, approche qui évalue et compare pour une population ou un problème donné les interventions et leurs résultats, en attribuant des grades de preuve plus ou moins élevés. CRISE DES PROGESTATIFS ET APPARENTÉS Les spécialistes ont en effet craint une augmentation des hystérectomies de première ou deuxième intention suite aux restrictions de prescriptions ou au retrait de plusieurs traitements progestatifs et apparentés (modulateurs sélectifs des récepteurs à la progestérone), jusqu’alors employés pour traiter les ménorragies associées à un fibrome ou à de l’endométriose. La première « crise » a concerné l’acétate d’ulipristal (Esmya®). Employée comme traitement des fibromes utérins avant chirurgie, la molécule a fini par perdre son autorisation de mise sur le marché (AMM) européen en 2020, en raison de risques hépatotoxiques jugés graves, suite à de premières alertes en 2017. Une étude d’Audrey Chevrot note d’ailleurs que les hystérectomies dans le traitement des fibromes utérins augmentent de 42 000 à 44 000 dès 2018 (2). En 2021, l’Agence française de sécurité du médicament (ANSM) et la Caisse primaire d’assurance maladie confirment un surrisque de méningiome chez les femmes exposées à l’acétate de nomégestrol (Lutényl® et ses génériques) ou à l’acétate de chlormadinone (Lutéran® et ses génériques). Ces macroprogestatifs sont désormais indiqués seulement en dernier recours, pour traiter une endométriose ou des -ménorragies associées à un fibrome en préopératoire et pendant une période courte (3). Leur utilisation implique une surveillance...