La cartographie Urkind®, un outil novateur au service des parents et des professionnels de périnatalité

Nathalie Piquée, gestalt-thérapeute formée en neurosciences sociales et affectives, sage-femme, formatrice et fondatrice de Natal Formation

Outil visuel et ludique, la cartographie Urkind® a été imaginée afin d’évaluer les difficultés psychosocio-émotionnelles des femmes enceintes et/ou du couple parental ainsi que les ressources internes dont ils disposent pour y faire face. Utilisé lors de l’entretien prénatal précoce, mais aussi en post-partum, ce support original est une opportunité pour les sages-femmes et pour les couples.

Mots-clés : accompagnement, clinique, entretien prénatal précoce, évaluation, prévention, outil

Un entretien prénatal « nouvelle génération »

En septembre 2020, le neuropsychiatre Boris Cyrulnik a remis un rapport de la commission d’experts des « 1000 premiers jours » au secrétaire d’État en charge de l’Enfance et des Familles, Adrien Taquet [1]. Ce rapport insiste sur l’importance du parcours de santé individualisé de la femme enceinte et des jeunes parents lors des 1000 premiers jours de l’enfant. 

L’entretien prénatal précoce, désormais obligatoire [2] à l’instar des sept rendez-vous de suivi de grossesse, est la pierre angulaire de cet accompagnement. Il apparaît essentiel de créer les conditions nécessaires à l’autonomie du parent. Cette recommandation sonne comme une évidence là où nous sommes face à une génération de parents en demande d’un nouveau modèle d’accompagnement. La demande de coopération, de partage de valeurs, de plus en plus présente chez ces nouveaux parents, laisse de moins en moins de place à notre posture si familière de sachant. La posture « biomédicale centrée sur le symptôme » peut aujourd’hui se métamorphoser en une posture « biopsychosociale, centrée sur le développement de la personne » [3].

Plusieurs approches indissociables et complémentaires s’entrecroisent ainsi : 

  • étayer l’environnement du « nouveau-né en construction » en prenant soin de la souffrance et de l’empêchement parental ;
  • créer les conditions pour qu‘un parent puisse acquérir autonomie et responsabilité ; 
  • garder en repère fondamental les signes cliniques somatiques auxquels nous soumet notre responsabilité médicolégale, signes cliniques qui se nourrissent soudain d’un contexte psychosocio-émotionnel.

Une approche parentale inédite

Enracinée dans la théorie des neurosciences affectives, dans la philosophie gestaltiste et dans l’expertise clinique, la cartographie Urkind® apporte un éclairage inédit sur les potentiels maternels et parentaux. En médecine, le soin traditionnel repère ce qui ne fonctionne pas et cherche des solutions. Il s’agit ici de positionner le curseur du côté de ce qui va bien. Parce qu’on sait que la confiance et les compétences du parent se mobilisent là où il sait déjà faire. Ainsi, c’est en renforçant des repères internes de confiance en soi de la femme et/ou du couple que risquent d’apparaître des pistes et des ressources insolites auxquelles personne n’avait pensé jusqu’alors.

« Montrez-nous l’endroit de votre histoire où vous êtes disponibles, compétents, sécurisés » 

La philosophie de la cartographie Urkind® rejoint ici les concepts de la psychologie positive de Martin Seligman, chercheur en psychologie et professeur à l’Université de Pennsylvanie. [4] L’objectif de cette approche est de tenter (chaque fois que c’est possible) de jouer les « explorateurs du positif » en ciblant le potentiel maternel et parental à chaque consultation. 

Petite histoire québécoise : « À l’école quand j’étais petit, pour corriger ma dictée, l’instituteur stabilotait tous les mots justes. » Charge à nous professionnels de construire un étayage parental efficient en « stabilotant chaque mot juste maternel ». C’est le concept de la psychologie positive. 

Une posture en psychologie positive s’exerce à définir la personne « en relief » sur ce qu’elle est, et non pas en creux sur ce qu’elle n’est pas. Et c’est bien cela le plus inattendu, le fait de mobiliser les points positifs a un impact direct sur les points négatifs. De façon systémique, les ressources internes mobilisées se mettent au service de ce qui va moins bien. Étonnamment, le savoir « désorganisé » des femmes enceintes vient compléter et enrichir le savoir « savant » des professionnels de la périnatalité pour trouver des solutions inédites. Le parent devient partenaire, voire expert. L’énergie récupérée peut alors être consacrée à la grossesse, à la préparation de l’accouchement et à l’établissement des premiers liens d’attachement. 

En s’appuyant fondamentalement sur ce constat, la méthodologie Urkind® insuffle un vent nouveau dans la relation parent-professionnel. Ce processus, semblable à l’effet papillon, a un impact profondément positif sur la pratique professionnelle de la sage-femme et de tous les professionnels de périnatalité. Il agit sur notre optimisme, notre relation aux autres, notre rapport à certaines situations complexes et nous sort du découragement face à ce qui nous semble être des impasses. On s’habitue ainsi à faire confiance à l’autre, à aller le chercher dans sa responsabilité de parent dans une relation adulte qui nous sort parfois d’un accompagnement d’assistanat énergivore. 

Un mode d’emploi simple et essentiel

La cartographie Urkind® s’appuie sur la participation active de la femme et/ou du couple. L’usage du photo-langage [5] permet d’instaurer le dialogue avec une génération baignée au quotidien dans l’univers graphique des réseaux sociaux. L’évaluation étant réalisée par la femme elle-même à partir de son ressenti, cette cartographie permet de s’affranchir de toute projection ou biais d’interprétation du professionnel. La sage-femme, quant à elle, dispose d’un seul item, le dernier, qu’elle évalue par elle-même et dont elle fait part aux parents en toute authenticité à l’issue des échanges.

Au final, il devient ainsi possible de visualiser de façon globale et systémique :

  • l’énergie maternelle disponible, les ressources internes mobilisables, qui seront valorisées auprès des parents (surface extérieure de la figure, coloriée en jaune par la femme – figure 1) ;
  • les empêchements maternels ou risques médico-psychosociaux de la femme ou du couple (au centre, en bleu). Ceux-ci correspondent aux points de vigilance de la sage-femme pour la suite de l’accompagnement. 

Une fois remplie, la cartographie peut être transmise aux autres professionnels de périnatalité (autres consultations, salle de naissance…) qui disposeront alors d’une vision immédiate des ressources maternelles disponibles et des facteurs de risques potentiels, sans avoir besoin de connaître dans le détail l’histoire de vie intime de la femme enceinte.

Figure 1. Exemple de cartographie Urkind® remplie selon les dix items évalués, représentés par des cartes. En jaune : l’énergie maternelle disponible. En bleu : les empêchements maternels et points de vigilance.

L’intérêt d’une synthèse graphique

Le cas clinique de Mme Dupont (patronyme fictif). 

Transmission éthique des données confidentielles :

  • La modélisation graphique de l’environnement psycho-socio-émotionnel de Mme Dupont ouvre sur une visualisation à double lecture parent/professionnel. La cartographie Urkind® permet de créer le chaînon manquant entre une science obstétricale cartésienne et l’Art intuitif de la Maïeutique.
  • Grâce à cette synthèse graphique, tout professionnel (sage-femme, médecin, interne, assistante sociale, psychologue…) formé à la lecture de la cartographie Urkind® peut appréhender l’univers psychosocio-émotionnel de Mme Dupont en un seul regard. L’interprétation item par item en est simple : « Mme D. est une jeune femme qui vit difficilement sa grossesse. Elle est peu entourée et en souffre. Elle a un vécu gynéco-obstétrical traumatisant. Il existe un certain nombre de moteurs de stress dans sa vie quotidienne. Elle a peu confiance dans son corps. La relation avec sa maman apparaît complexe. Pour autant, elle est en sécurité complète dans son cadre socio-économique. Elle a une relation affective très satisfaisante avec son papa. Elle gère au quotidien les souvenirs de son histoire de vie et fait apparemment preuve d’une belle résilience. » 
  • Certains autres professionnels préféreront se contenter d’informations plus synthétiques pour nourrir une analyse clinique et contextualiser certains symptômes potentiels :

 – L’énergie motivationnelle disponible pour cette jeune femme est de 52 %.La sage-femme qui a rempli cette cartographie recommande une attention et un accompagnement particuliers pour cette jeune femme.

  – La sage-femme qui a rempli cette cartographie recommande une attention et un accompagnement particuliers pour cette jeune femme.

  • Grâce à cet état des lieux exhaustif, les sages-femmes développent un accompagnement efficient sur le suivi de grossesse en proposant à la jeune femme d’ouvrir certains items de son choix. La finalité de ce travail est de : 

 – faire un état des lieux de l’énergie maternelle disponible à l’instant T, 

 – déplacer le curseur de certains items pour optimiser les 52 % d’énergie motivationnelle,

 se positionner dans une coconstruction d’actions à mener,

 – évaluer la pertinence de ces actions grâce à la visualisation de changements évolutifs.

Épilogue de ce cas clinique : 

Au cours des consultations ultérieures, le choix de la jeune femme a été de ne pas aborder ses antécédents gynéco-obstétricaux cotés à 5 (ce que nous aurions pu proposer en première intention). Son souhait a été de se construire une matrice de soutien contenante. 

  • Actions menées : 

 Devant la prise de conscience graphique de la situation,
Mme Dupont a élaboré avec la sage-femme une reprise de contact avec son amie d’enfance. Cette dernière s’est engagée à être présente à l’accouchement si son mari militaire n’était pas rentré de mission (comme pour la première naissance). 

Alors qu’elle ne souhaitait pas refaire de séances de PNP, une préparation à la naissance conseillée en petit comité a permis à
Mme Dupont de construire une alliance avec d’autres futures mamans et de tisser des liens dans son quartier.

  • Conséquences sur une cartographie ultérieure : La situation actuelle est passée à 3, la matrice de soutien à 2, les moteurs de stress à 3.
  • Bilan : Sur cette simple action, l’énergie motivationnelle de
    Mme Dupont pour mener à bien sa grossesse et son accouchement est passée de 52 à 62 %.

Aspects pratiques : 

Lors de l’entretien, la cartographie est posée devant la femme et/ou le couple parental sur un support papier. Chaque cotation est remplie au crayon par cette dernière, pas à pas, sous l’œil bienveillant de la sage-femme avec l’aide des cartes de photo-langage. En fin d’entretien, un temps est donné à la future maman pour relier tous les points entre eux et « colorier » l’énergie disponible représentée. La concentration déployée lors du geste de « coloriage » permet – tel un mandala – un mouvement d’intégration du voyage émotionnel. Le dessin réalisé appartient au couple parental. Il leur est confié avec la liberté de faire évoluer le graphique au cours de la grossesse.

La sage-femme quant à elle reporte les cotations du jour sur un support web mis à sa disposition. Les données recueillies (dans les règles de l’Art) ouvrent dès lors sur la possibilité d’un travail de recherche épidémiologique.

Ce parcours cartographique méthodologique permet de faire un état des lieux exhaustifs, quel que soit le profil du futur parent sans choisir quel sujet il serait souhaitable d’aborder ou d’éviter. L’exercice, s’il parait simple, demande pour autant d’appréhender toute une philosophie d’accompagnement positif. 

Perspectives

Un déploiement de ce nouvel outil à plus grande échelle permettra sans aucun doute de redonner ses lettres de noblesse à l’entretien prénatal précoce, d’augmenter le nombre de ces entretiens – qui sont encore trop peu nombreux aujourd’hui – et de favoriser une transmission éthique des informations.

Certaines agences régionales de santé s’intéressent à la cartographie Urkind® en particulier l’ARS Bourgogne-Franche-Comté qui déploie une large étude, coordonnée par la Dre Blandine Mulin, du Réseau de santé périnatale Franche-Comté. Une seconde étude de validation est en construction en Auvergne. Ces travaux épidémiologiques visent à valider l’existence d’une corrélation entre les données issues de la cartographie et les observations médicales.

Enfin, nous recommandons une utilisation de ce support dans d’autres contextes que l’EPP, notamment celui de la prévention de la dépression maternelle où il s’agit d’évaluer, sans projection soignante, les ressources dont dispose la femme pour faire face à ses difficultés en post-partum.

Références bibliographiques

[1] Ministère des Solidarités et de la Santé. Les 1000 premiers jours. Rapport de la Commission des 1000 premiers jours. Septembre 2020. https://solidarites-sante.gouv.fr/IMG/pdf/rapport-1000-premiers-jours.pdf

[2] Article n° 2112-2 du Code de la santé publique, modifié par la loi n° 2019-1446 du 24 décembre 2019 de financement de la Sécurité sociale pour 2020. 

https://www.legifrance.gouv.fr/codes/section_lc/LEGITEXT000006072665/LEGISCTA000006171124/2020-06-01/

[3] Revillot JM. Manuel d’éducation thérapeutique du patient. Paris : Dunod ; 2016 : 10.

[4] Seligman M. Vivre la psychologie positive. Paris : Pocket ; 2013.

[5] Belisle C. Le photo-langage. Communiquer en groupe avec des photographies. Présentation de la méthode. Lyon : Chronique sociale ; 2014.

Notes

Urkind est un mot allemand qui signifie « l’enfant primordial, l’enfant aux racines de l’humanité » (Ur : la préhistoire ; kind : l’enfant). 

Pour en savoir plus : 

https://www.gestalt-piquee.fr/espaces-urkind

Encadré 1. Les dix items évalués par la cartographie Urkind®

Les éléments abordés pendant l’entretien, représentés par des images, correspondent aux déterminants de la santé des femmes enceintes. Pour chacun d’entre eux, la femme est invitée à positionner son « curseur météo » selon son ressenti : grand soleil lumineux (1), beau temps brumeux (2), un peu nuageux (3), ciel assez gris (4), gros orage (5). 

• La grossesse actuelle : le ressenti de la femme quant au fait d’être enceinte, ce que cela lui fait vivre.

• La matrice de soutien : la façon dont la femme évalue l’aide de ses proches (amis, famille, collègues…) en cette période de grossesse.

• Le vécu obstétrical ou gynécologique antérieur : son ressenti quant à des grossesses précédentes, le cas échéant, ou du contexte gynécologique avant la grossesse (parcours de procréation médicalement assistée, règles plus ou moins douloureuses, endométriose, etc.).

• Les moteurs de stress dans l’environnement : des soucis concernant l’activité professionnelle, des difficultés d’organisation (déménagement…) ou des préoccupations particulières.

• La mobilisation corporelle : le ressenti vis-à-vis du corps et du bien-être corporel.

• La dimension socio-économique : les éventuelles problématiques financières ou relatives au logement.

• La confirmation paternelle : les émotions que suscite le rôle de son propre père (ou de son représentant) dans sa vie de petite fille et de femme. 

• La transmission maternelle : même chose concernant le rôle de la mère.

• L’histoire de vie : le ressenti quant aux événements et souvenirs de l’enfance, à la protection et à l’amour reçus.

• Le ressenti du soignant dans l’interaction : cet élément est coté par la sage-femme. Il s’agit du degré de vigilance nécessaire qu’elle perçoit, en tant que professionnelle, à l’issue des échanges.