La mobilisation des sages-femmes se poursuit en coulisses

Depuis le 24 février et la réunion décevante avec le ministère de la Santé et la grève symbolique du 8 mars, le mouvement de colère des sages-femmes a regagné les coulisses. Les associations et instances de la profession y poursuivent leurs actions de lobbying et de plaidoyer. La prochaine grande manifestation aura lieu le 5 mai, pour la Journée mondiale de la sage-femme.

Mobilisation des sages-femmes le 8 mars 2021.
Mobilisation des sages-femmes le 8 mars 2021. © Nour Richard-Guerroudj

Jusqu’au 5 mai, les sages-femmes n’iront pas dans la rue. Les derniers défilés du 8 mars dans une trentaine de villes de France métropolitaine, à l’occasion de la Journée internationale pour les droits des femmes, furent symboliques. Pour les syndicats, l’objectif était d’associer la cause des sages-femmes aux causes féministes et de se montrer « avec les femmes » avant tout.

Depuis, alors que le Gouvernement a botté en touche lors de la rencontre ministérielle du 24 février dernier, en annonçant un rapport de l’Inspection générale des affaires sociales (Igas), il s’agit d’économiser les forces de professionnelles déjà à bout. Pour autant, sages-femmes de terrain, associations et instances professionnelles s’activent en coulisses : leurs différentes initiatives convergent vers les mêmes objectifs.

BOYCOTTER L’ENP

Début mars, l’idée a été lancée de boycotter la remontée des résultats de l’Enquête nationale périnatale (ENP), qui se déroulait du 15 au 21 mars. Cinq maternités de Grenoble en ont fait part sur le groupe Facebook Sages-Femmes en lutte, relayées par d’autres établissements, sans qu’il soit possible d’établir l’ampleur du mouvement.

« Nous avons eu le sentiment de perdre notre salaire pour rien durant les journées de grèves, estime avec lassitude Alexandra Licina, coordinatrice à la maternité du groupement hospitalier mutualiste de Grenoble. Nous avons rassuré l’équipe du comité national de l’ENP en décidant de mener l’enquête sur le terrain, tout en bloquant la remontée des résultats jusqu’à une date indéterminée. »

L’Organisation nationale des syndicats de sages-femmes (ONSSF) avait aussi plaidé pour que l’enquête soit bien réalisée, soulignant que « pour la première fois, l’étude comportera des items sur les effectifs sages-femmes » et qu’elle devrait donner des arguments légitimant les revendications des sages-femmes. « L’enquête était prévue pile un an après le premier confinement, note cependant Alexandra Licina. Ses résultats ne seront pas représentatifs, car les maternités ont connu une baisse de la natalité de 10 % en janvier et février. Ce ne sera pas la photo stricte de ce que nous vivons la majeure partie de l’année. »

BONNE PRESSE

La publication de tribunes dans la presse représente un autre type d’initiative. Le 9 mars, la présidente de l’Ordre, Anne-Marie Curat, a publié dans Le Monde un appel à faire évoluer la situation dans les maternités et à réorganiser la périnatalité. Rappelant la situation des soignants, elle souligne que « les attentes des professionnels, mais aussi celles de la société, ne peuvent plus être ignorées, car il est urgent d’améliorer la santé des femmes et le respect de leurs droits » . En novembre, Claudine Schalck et Christine Morin, alors vice-présidente et présidente du Conseil national professionnel, publiaient une tribune dans Libération mêlant le combat des femmes et des sages-femmes.

Sur le terrain, certaines sages-femmes craignent que cette stratégie médiatique ne se cantonne à de la figuration. Pour Claudine Schalck, membre de l’Association nationale des sages-femmes territoriales, « écrire permet d’élaborer une pensée et de contribuer à une prise de conscience sociétale, souligne-t-elle. Ce n’est pas suffisant pour que le Gouvernement accède à nos revendications, mais c’est fondamental. Nous sortons de notre invisibilité liée à une triple domination patriarcale. Nous avons été dominées en tant que femmes, en tant que professionnelles du soin et en raison du pouvoir du corps médical sur le corps des femmes. » En décembre, Claudine Schalck et Christine Morin publiaient dans Le Monde une nouvelle tribune très explicite, avec pour titre : « Au royaume du patriarcat, pour subordonner les femmes, il faut subordonner les sages-femmes. »

Sur le fond, les idées développées dans ces tribunes ne sont pas nouvelles. Sur la forme, proposer un texte à la presse de façon proactive témoigne d’une capacité nouvelle à s’affirmer. Il en va de même concernant le lobbying auprès des parlementaires, mené à la fois par le Conseil national de l’Ordre, les syndicats et des associations de sages-femmes depuis plusieurs mois.

Mobilisation des sages-femmes le 8 mars 2021.
Mobilisation des sages-femmes le 8 mars 2021. ® Nour Richard-Guerroudj
LOBBYING ET PLAIDOYER

Courant mars, les Associations nationales de sages-femmes libérales (ANSFL), orthogénistes (Ansfo), territoriales (ANSFT) et professionnelles (APSF) ont remis aux 927 parlementaires un rapport intitulé « La grossesse et la mise au monde en France : qu’en est-il de la physiologie ? ».

« La priorité mise en avant dans ce rapport est la santé des femmes, ce qui réunit tous les modes d’exercice », indique Michelle Boivineau, présidente de l’ANSFT. Le texte est un plaidoyer en faveur des soins dirigés par les sages-femmes, études internationales à l’appui. « Ce rapport démontre que la prise en charge des patientes par les sages-femmes est économiquement efficiente et satisfaisante pour les femmes », insiste Laurence Platel, de l’ANSFL.

Pour les autrices, il faut en finir avec la subordination de la physiologie à la pathologie et avec celle des sages-femmes aux médecins. « Il s’agit de sortir d’un modèle centré sur la pathologie et le risque, et une démarche essentiellement diagnostique, pour une approche centrée sur la santé (…). Ce changement comprend une approche de prévention et de soutien capable de renforcer les capacités et ressources propres des femmes », souligne le rapport coordonné par Claudine Schalck et Christine Morin.

Le rapport indique ainsi une vingtaine de revendications, comme la mise en place d’une sage-femme référente pour coordonner le parcours des femmes, l’augmentation des effectifs en maternité et le dispositif « une femme/une sage-femme », la mise en place des unités physiologiques dirigées par des sages-femmes promises lors du mouvement de 2013-2014, diverses créations d’actes pour améliorer le suivi des femmes, un statut d’emploi pour les fonctionnaires hospitalières ou territoriales, l’accès au statut hospitalier et universitaire pour développer la recherche en maïeutique et une section maïeutique autonome au sein du Conseil national des universités (lire ici).

LOI RIST

Ce travail de plaidoyer auprès des parlementaires, mené aussi par le Conseil national de l’Ordre, semble avoir porté ses fruits. « Lors des débats concernant la proposition de loi Rist, nous avons entendu pour la première fois des discours pro-sages-femmes », relève Laurence Platel. La loi a été définitivement adoptée ce 14 avril, levant certains freins à l’exercice des sages-femmes. La limite des 15 jours d’arrêt de travail que les sages-femmes pouvaient prescrire est supprimée et les arrêts de travail pourront être prolongés. La prescription de bilans et le traitement des IST chez les femmes et leurs partenaires sera ouverte aux sages-femmes. La loi prévoit aussi un nouveau dispositif permettra d’orientation des patientes entre sages-femmes et médecins spécialistes et une simplification de la mise à jour de la liste de médicaments prescriptibles.

Le texte prévoit la création du statut de sage-femme référente, pour mieux coordonner le parcours des femmes enceintes, comme le préconisent les recommandations de la HAS ou encore le rapport des 1000 jours. « C’est une victoire symbolique forte et une reconnaissance de notre travail, qui est d’accompagner les femmes dans le devenir mère », estime Claudine Schalck. « Encore faudra-t-il le définir ensuite par décret et obtenir la rémunération correspondante », précise Anthony Bouvier, représentant de l’ONSSF. Les décrets d’application de la loi seront en effet décisifs avant que ces nouvelles dispositions n’entrent en vigueur.

« Les débats de la loi Rist ont donné une visibilité à notre expertise médicale et, si elles sont votées, certaines dispositions seront intéressantes pour les libérales, souligne Vincent Porteous, représentant de l’Ufmict-CGT. Mais la loi ne répond pas à nos grandes revendications en matière de rémunération, d’effectifs, de statut et de formation. Dans la suite du Ségur, la proposition de loi était destinée à organiser les transferts d’actes, dans une logique de rentabilité. La tentative de nous assimiler à des professions intermédiaires, comme les infirmières en pratique avancée, reste forte. En témoigne l’arrêté autorisant les infirmières à pratiquer les frottis (lire ici). En filigrane se dessine la tentative de mettre fin aux professions réglementées. » Pour toute la profession, la loi RIST à elle seule est loin de répondre aux revendications martelées depuis plusieurs mouvements de grèves.

De son côté, le Conseil national de l’Ordre a commandé une étude pour évaluer le rapport coût-bénéfice de la mesure « une femme/une sage-femme ». Les résultats seront connus fin avril.

RESTER VIGILANT

Pour l’instant, l’agenda du ministère de la Santé suscite toutes les craintes. « Nous suspectons que l’annonce du rapport de l’Igas soit destinée à calmer les ardeurs des sages-femmes, déjà moins mobilisées qu’en 2013, car elles redoutent que rien ne change, souligne Anthony Bouvier. Et un rapport correct de l’Igas peut aussi rester lettre morte ensuite. » Une vision partagée à l’Ufmict-CGT. « Lors d’un mouvement social, il est d’usage de se réunir et de discuter autour d’une table, peste Vincent Porteous, représentant du syndicat aux côtés de Françoise Gaillard. Le rapport de l’Igas a sans doute pour intention de fracturer un mouvement uni, car les rapporteurs pourront minorer certaines voix ou en valoriser d’autres. Le ministère parie aussi sur une démobilisation progressive : le rapport doit être rendu en mai, mais sa publication pourrait être retardée, nous amenant jusqu’à l’été. Ensuite, à l’approche de plusieurs élections, la paralysie législative prendrait le relai pour casser le mouvement. Et nos revendications seraient repoussées au prochain mandat présidentiel, après mai 2022 ! »

Le 23 mars, invité aux Journées du Collège national des sages-femmes, le secrétaire d’État à l’Enfance et à la Famille, Adrien Taquet, a précisé que le rapport de l’Igas examinera les options pour répondre à la demande de reconnaissance du statut médical des sages-femmes, comme d’étudier la faisabilité de l’allongement des études ou de l’intégration de la profession au statut de praticien hospitalier. « Le rapport permettra ensuite des arbitrages, qui ne sont pas encore décidés, qui seront ensuite intégrés au projet de loi de finance 2022 », a-t-il rassuré. Le lobbying des sages-femmes auprès des parlementaires devrait donc se poursuivre plusieurs mois encore.

Lors des journées du Collège national des sages-femmes de France, Adrien Taquet, secrétaire d’État à l’Enfance et à la Famille, a annoncé des mesures concrètes concernant les sages-femmes dans le prochain projet de loi de finance de la sécurité sociale pour 2022. © CNSF
PRÉPARER LE 5 MAI

Durant avril, les syndicats auront pour tâche de convaincre un maximum de sages-femmes de se rassembler massivement à Paris le 5 mai, devant le ministère de la Santé. « Notre travail est aussi de rallier les féministes et les patientes pour cette Journée mondiale de la sage-femme », souligne Anthony Bouvier. De son côté, l’Association nationale des sages-femmes libérales appelle à fermer les cabinets le 5 mai. « Nous demandons aux libérales d’adresser les patientes vers les urgences, les autres praticiens ou établissements de soins ce jour-là, indique Laurence Platel, membre du conseil d’administration de l’association. Notre démarche sera expliquée aux femmes par voie d’affichage. » Des réunions entre syndicats, associations et l’Ordre vont jalonner le mois d’avril pour poursuivre le mouvement. Rendez-vous le 5 mai !