Le combat continue

Les syndicats professionnels et hospitaliers décident de poursuivre la mobilisation jusqu’aux élections. Les dernières propositions du ministère de la Santé, en date du 26 octobre, sont jugées insuffisantes et floues.

Manifestation nationale du 7 octobre à Paris. © Nour Richard-Guerroudj

À prendre ou à laisser. C’est presque en ces termes que les conseillers du ministre de la Santé ont présenté leurs dernières propositions aux sages-femmes le mardi 26 octobre, estimant que ces propositions ont été « largement discutées et précisées ». Mais ni sur la forme ni sur le fond, les principales organisations syndicales leaders du mouvement n’ont apprécié ces derniers échanges. Après la manifestation nationale réussie du 7 octobre – qui a rassemblé près du quart de la profession à Paris – et un week-end noir bien suivi du 22 au 24 octobre, c’est une nouvelle déconvenue.

L’Organisation nationale des syndicats de sages-femmes (ONSSF) appelle donc à des week-ends noirs, chaque fin de mois, jusqu’aux élections de 2022. L’Ufmict-CGT s’aligne sur ce calendrier. Pour l’instant, aucune manifestation nationale n’est prévue, d’autres formats d’actions destinés à médiatiser le mouvement étant en réflexion. 

PETIT PAS

La réunion au ministère a été habilement fixée par les conseillers le jour où se
tenait le vote en première lecture du projet de loi de financement de la Sécurité sociale (PLFSS) de 2022 à l’Assemblée nationale. Le texte adopté ne mentionne que le complément de traitement indiciaire (CTI) accordé en janvier dernier aux hospitalières. Aucun montant n’est indiqué concernant une revalorisation des grilles salariales. Quelques amendements du Gouvernement, déposés le 21 octobre, concernent les sages-femmes : l’article 44 prévoit de demander à la Cnam de mener des campagnes d’information sur les compétences des sages-femmes, d’expérimenter la possibilité pour les sages-femmes de réaliser la première consultation dans le cadre d’une demande de stérilisation et de créer un entretien postnatal pour le repérage de la dépression du post-partum.
On est donc bien loin des promesses
d’Olivier Véran du 16 septembre, qui annonçait une nouvelle donne pour les sages-femmes dans le PLFSS.

De leur côté, les conseillers ministériels n’ont fait qu’un petit pas depuis le 16 septembre : la prime mensuelle reconnaissant la spécificité du métier serait de 240 euros nets, contre 100 euros annoncés un mois avant. Et le ministère maintient ses éléments de langage : avec le CTI de 183 euros nets, et 78 euros de revalorisation des grilles salariales en moyenne, les sages-femmes seraient ainsi augmentées de 500 euros net au total par mois, à partir de janvier 2022. Un chiffre rond, certes conséquent pour la majorité de la population, mais insuffisant étant donné les responsabilités des sages-femmes et leurs salaires qui plafonnent à des niveaux très bas depuis des années. Marie-Anne Poumaer, présidente de l’Union nationale et syndicale des sages-femmes (UNSSF) a regretté auprès d’APMnews qu’aucune revalorisation ne concerne les contractuelles, « alors que dans les établissements environ 20 % des sages-femmes sont sous contrats ». « Si les nouvelles recrues ne sont pas mieux payées, il n’y aura bientôt plus de volontaires ! », s’indigne Camille Dumortier, secrétaire générale de l’ONSSF. Les syndicats s’interrogent aussi : les primes compteront-elles pour la retraite, seront-elles liées au travail effectué en présentiel ? Sur le fond, peu d’éléments ont été clarifiés.

MÉTHODES QUI FÂCHENT

« Aucune présentation ni aucun engagement écrit, un tour de table expédié sans négociation, des conseillers qui nous demandent à plusieurs reprise de “toper“ un accord comme si l’hôpital et la santé publique étaient des start-up !, s’indigne Vincent Porteous, sage-femme représentant de l’Ufmict-CGT. Nous pourrions accepter le principe d’une prime mensuelle, à condition qu’elle soit rattachée à quelque chose de spécifique, comme la filière médicale, pour éviter une éventuelle suppression par la suite. De plus, la prime doit aussi être accordée au personnel en arrêt maladie ou congé maternité. Or rien de tout cela n’a été précisé. » L’Ufmict-CGT ne veut pas se contenter d’une augmentation de 78 euros en moyenne des grilles salariales. « Le ministère nous oppose qu’il est impossible de nous accorder plus de 22 points d’indice d’augmentation, du fait d’un bornage des revalorisations pour les personnels de catégorie A, détaille le représentant de l’Ufmict-CGT. Nous contestons cet argument. Au vu de nos responsabilités, il serait tout à fait possible de nous classer dans la catégorie A+ et de nous augmenter de façon à ce que nous obtenions l’équivalent de 2,3 fois le Smic sur vingt ans de carrière linéaire. »

Camille Dumortier, qui n’a pu que se rendre seule à la réunion, abonde : « Nous n’avons eu que des paroles, aucune grille salariale détaillée, rien de précis. On est loin du choc d’attractivité que nous attendions, alors que le ministère a admis que nous avions des années de retard de revalorisation salariale ». De plus, les dernières annonces ne concernent que les hospitalières, alors que les syndicats réclament des revalorisations pour les sages-femmes territoriales et libérales également. « Côté libéral, la négociation de l’avenant 5 de la convention est au point mort », rapporte Camille Dumortier. 

La réunion au ministère n’a pas permis d’en savoir plus non plus concernant la filière médicale au sein de la Fonction publique hospitalière. « Nous n’avons eu aucune confirmation officielle, souligne Vincent Porteous. Nous ignorons quelle architecture aurait cette filière spécifique. Nous voulons une filière médicale à proprement parler, sans que les
infirmières de pratique avancée n’y soient intégrées. En 2014, nous avons simplement été sortis de la filière soignante. »

Concernant la sixième année d’études, le ministère n’a pas donné non plus de précisions, excepté un « engagement de principe ». Les modalités de mise en œuvre de cette sixième année relèvent d’une mission de l’Inspection générale des affaires sociales et de l’Inspection générale de l’éducation (Igas), du sport et de la recherche (IGESR). Cette mission avait déjà été promise dans un délai rapide le 16 septembre par Olivier Véran. Un mois et demi plus tard, elle n’est toujours pas mise sur pied. « On nous agite cette sixième année, que nous réclamons, comme une carotte, pour que nous signions un accord global », estime Vincent Porteous. Le 2 novembre, la députée Annie Chapelier a annoncé que sa nouvelle proposition de loi, centrée sur la création d’un troisième cycle d’études pour les sages-femmes, serait débattue au Parlement le 25 novembre.


Manifestation nationale du 7 octobre à Paris.
© Nour Richard-Guerroudj

LES EFFECTIFS OUBLIÉS

Le mardi 26 octobre, rien n’a non plus été avancé par le ministère concernant les pénuries d’effectifs en maternité. Les conseillers se sont contentés d’annoncer un groupe de travail sur la reconnaissance et la valorisation du métier, en présence de personnalités qualifiées, qui serait mis sur pied plus tard. « C’est désespérant de ne pas traiter de la question des effectifs et de renvoyer le sujet à un groupe de travail, déplore Camille Dumortier.
Il s’agit encore d’une tentative de temporisation de la situation. Si c’est pour réunir des experts d’autres professions et ne pas entendre les sages-femmes, nous connaissons le résultat ! On risque de voir émerger la proposition d’obligation de services publics pour les jeunes diplômées, ce que nous refusons. » Les syndicats ont le souvenir de 2014, où la réforme du statut des sages-femmes des hôpitaux a été négociée en présence des syndicats de médecins. « Un groupe de travail mettrait de côté les organisations syndicales hospitalières, estime aussi Vincent Porteous. Alors que les décrets de périnatalité auraient un impact sur tout le monde, les syndicats doivent être autour de la table. »

Sur le terrain, la question des effectifs reste capitale. Cette année, il reste 67 places vacantes sur 1000 dans les écoles de sages-femmes. « En pharmacie, il reste 130 postes vacants sur 5000, compare Laura Faucher, présidente de l’Association nationale des étudiantes sages-femmes. En proportion, la filière maïeutique est celle où il reste le plus de places. C’est sans doute dû à la réforme des études, mais peut-être aussi à un problème d’attractivité. Nous sommes en train d’enquêter pour comprendre. »

Concernant les arrêts maladie en masse dans des services, qui imposent des réorganisations, voire des suspension temporaires d’activité, aucune enquête à ce jour n’a indiqué leur nombre en maternité. En 2020, la Fédération hospitalière de France estimait le taux d’absentéisme des personnels soignants entre 9,5 % et 11,5 %, contre un niveau entre 8,5 % et 10 % en 2019, avant la crise du Covid-19. Avec les mesures prises pour y pallier – autoremplacements internes surtout -, l’effet boule de neige, où les professionnels s’épuisent à tour de rôle, semble inévitable. 

Quant aux démissions sèches de la fonction publique hospitalière et aux reconversions, elles sont aussi difficiles à chiffrer. « Bien avant la crise du Covid-19, il y a eu un déni constant quant aux départs des soignants de l’hôpital, estime Vincent Porteous. Ces départs sont souvent camouflés, on parle de “projets personnels“, sans plus d’interrogation du côté des directions. Il y a un abîme entre les chiffres donnés et la réalité. C’est un problème majeur qui touche aussi les sages-femmes. » À bout, la profession va donc poursuivre le mouvement.

WEEK-ENDS NOIRS

Du 22 et jusqu’au 25 octobre, le week-end noir a été très suivi dans les maternités et les cabinets libéraux, d’après les déclarations faites sur les réseaux sociaux. Arrêt des cotations ou cotations d’actes gratuits par les hospitalières, boycott des sorties précoces par les libérales : tout est bon pour rendre visible la colère de la profession. Si, pour ne pas épuiser les professionnels, les week-ends noirs ne sont désormais planifiés que chaque fin de mois au niveau national, des grèves localisées ont lieu. Ce fut le cas à la maternité de la clinique Rive Gauche, à Toulouse, où les sages-femmes se sont mises en grève du 31 octobre au 2 novembre, obligeant la maternité à fermer temporairement. Dans cette clinique, sept démissions ont eu lieu en quelques mois selon France Bleu.

Pour leur part, l’ONSSF et l’Ufmict-CGT avancent toujours de concert dans le mouvement. « Nous n’avons rien à perdre à continuer », estime Camille Dumortier, de l’ONSSF. « Les sages-femmes ont compris que le rapport de l’Igas n’a été qu’un leurre pour gagner du temps, estime Vincent Porteous. Mais le temps est aussi compté pour le ministère de la Santé. C’est toujours dans la dernière ligne droite que l’on obtient le plus. Nous avons donc tout à gagner à poursuivre le mouvement. »

■ Nour Richard-Guerroudj