« Le vécu des parents nous donne des indications d’action »

Évaluer le ressenti ambivalent ou multiforme des femmes vis-à-vis de leur accouchement est une gageure. La majorité des recherches pêchent par leur focale trop précise. Diplômée en France, Marie-Julia Guittier, enseignante et chercheuse en Suisse, a mis au point un questionnaire qui englobe de nombreux aspects du vécu. Elle nous détaille son parcours de recherche à la Haute École de santé de Genève.

Pourquoi l’expérience des parents et leur vécu vous ont-ils passionnée en tant que chercheuse ?

Ce sujet est venu à moi alors que j’effectuais un travail de recherche auprès de femmes dont le bébé se présentait en siège. Je les interrogeais sur leur stratégie de choix entre une voie basse et une césarienne, option au final la plus fréquente. J’ai constaté un paradoxe. Elles optaient en majorité pour une opération alors qu’elles rêvaient surtout d’un accouchement par voie basse. Leur désir était mis de côté au nom de la sécurité. J’ai réalisé à la fois à quel point la césarienne était banalisée par les soignants en cas de siège et combien les femmes avaient tendance à établir une hiérarchie des accouchements, du plus réussi à celui qui serait raté. D’un côté, les professionnels soignants avançaient souvent que l’opération pourrait être aussi bien vécue, voire mieux, qu’un accouchement par les voies naturelles. De l’autre, les femmes avaient comme idéal un accouchement par voie basse sans péridurale.

En parallèle, tout un courant de recherches tendait à montrer que l’anxiété des femmes enceintes était plus importante lors d’un accouchement par voie basse par rapport à un accouchement par césarienne. Or, quand on mesure l’anxiété de façon isolée, on interprète les résultats de façon réductrice. Plusieurs éléments sont à prendre en compte pour mesurer le vécu d’une femme, qui est un phénomène complexe. C’est pourquoi j’ai souhaité approfondir cette question du vécu de l’accouchement, qui est un moment pivot dans la vie d’une femme et qui peut avoir des répercussions à long terme. Une expérience positive peut donner un sentiment d’accomplissement personnel ou de confiance en soi. Une expérience négative au contraire peut avoir des répercussions sur la vie conjugale, le lien à l’enfant ou encore sur l’image de soi. Mal vécue, l’expérience suscite parfois une grande détresse ou un stress post-traumatique.

 

Vous avez mené une étude qualitative puis une recherche quantitative…

J’ai d’abord interviewé 24 femmes lors d’entretiens approfondis. Elles détaillaient leur ressenti, quelle qu’ait été la voie d’accouchement : naturelle, avec extraction instrumentale ou par césarienne. Ce type de recherche qualitative est intéressant et devrait davantage être reconnu pour sa validité, alors que seules les recherches quantitatives sont considérées comme étant généralisables. Ces entretiens ont permis de mettre en lumière plusieurs dimensions de l’accouchement. Nous les avons classées en six catégories : les attentes et représentations par rapport à l’accouchement, les perceptions sensorielles (douleurs, absence de sensation), le sentiment de contrôle, le soutien social (partenaire, famille, personnel soignant), les émotions et les premiers instants avec le bébé. Cette dernière dimension n’apparaissait jamais dans les études anglo-saxonnes. Lors des entretiens, la rencontre avec leur enfant représentait un véritable enjeu pour les femmes.