L’obligation vaccinale en question

Ouverte depuis le 6 février à tous les soignants, la vaccination contre le Covid-19 est obligatoire depuis le 5 août dernier. Les professionnels de santé ont jusqu’au 16 octobre pour compléter leur schéma vaccinal. Quelles sont les contrôles et sanctions prévus ? Quelles questions juridiques cela pose-t-il ? Les sages-femmes sont-elles plus défiantes que d’autres professionnels ?

© Richard Villalon - adobestock.com

Les sages-femmes n’échappent pas aux débats sur la vaccination anti-
Covid-19 qui anime la population depuis l’annonce, le 12 juillet dernier, de l’obligation vaccinale contre le Covid-19 et de la mise en place du passe sanitaire. Ces dispositifs sont entrés en vigueur le 5 août, une fois la loi validée par le Conseil constitutionnel. L’obligation est mise en œuvre par étapes, selon un calendrier précis. Jusqu’au 14 septembre, les professionnels de santé peuvent encore présenter un passe sanitaire. Entre le 15 septembre et le 15 octobre 2021, ils devront avoir initié leur vaccination. Celle-ci devra être complète à compter du 16 octobre 2021. Les précisions concernant les sanctions encourues en cas de défaut de vaccination ont été apportées par la Direction générale de la santé (DGS) le 11 août dernier.

SANCTIONS GÉNÉRALES

Seul l’employeur, pour les salariés, et l’Agence régionale de santé (ARS), pour les libéraux, sont chargés de vérifier le respect de l’obligation vaccinale. Mais la DGS ne précise pas les détails des procédures de contrôle. Dans les établissements de santé, les salariés pourront « présenter à leur employeur leur justificatif de statut vaccinal sous une forme ne permettant pas d’identifier la nature de celui-ci et l’information selon laquelle le schéma vaccinal de la personne est
complet », indiquent les consignes de la DGS. Les directions d’établissement doivent informer les salariés concernant les services habilités à effectuer les contrôles, selon la DGS, qui ne précise pas s’il s’agit de contrôles à l’entrée uniquement, comme pour la population. Les services de médecine du travail, en principe garants du secret médical, seront-ils chargés de faire des vérifications plus poussées ? Pour l’instant, ces services sont chargés de contrôler les personnes présentant un certificat de contre-indication à la vaccination (voir encadré).

Concernant les professionnels libéraux, depuis le 11 août, les caisses primaires d’assurance maladie transmettent tous les quinze jours aux ARS le fichier des personnes n’ayant pas débuté leur parcours vaccinal. Les premiers courriers d’avertissement ont été envoyés vers le 23 août aux professionnels n’ayant pas débuté leur schéma vaccinal, mentionnant les sanctions pénales encourues. Employeurs et ARS pourront conserver ces informations jusqu’à la fin légale de l’obligation vaccinale, fixée pour l’instant au 15 novembre 2021.

Tout professionnel de santé non vacciné et sans justificatif aux dates exigées pourra utiliser ses jours de congés ou de repos sans être suspendu. À l’issue de cette période de congés ou de repos, si l’obligation vaccinale n’est toujours pas remplie, il sera suspendu par l’employeur ou l’ARS, le jour même, par une notification à effet immédiat. Aucune rémunération ne sera versée aux salariés. L’ARS devra contrôler que les libéraux « ne méconnaissent pas l’interdiction d’exercer ». Les libéraux continuant d’exercer malgré tout risquent 135 euros d’amende à la première verbalisation et 6 mois de prison, 3750 euros d’amende et une peine de travail d’intérêt général s’ils sont verbalisés plus de trois fois en trente jours.
La suspension prendra fin dès que l’obligation vaccinale sera remplie, ou au plus tard le 15 novembre 2021. À moins que la loi ne soit prorogée d’ici là.

Au bout de 30 jours de suspension ou d’interdiction d’exercice pour refus de se soumettre à l’obligation vaccinale, l’employeur ou l’ARS informera le Conseil national de l’Ordre dont dépend le professionnel. Une procédure disciplinaire pourra être engagée.

COMPLEXITÉ JURIDIQUE

« Nous soutenons l’obligation vaccinale, qui n’est ni inédite ni choquante, précise Marianne Benoit Truong Canh, vice-présidente du Conseil national de l’Ordre des sages-femmes (CNOSF). Chargé de veiller au respect de la déontologie, l’Ordre estime qu’il n’est ni éthique ni déontologique de mettre en danger la vie d’autrui. » Irait-on vers des suspensions urgentes ou des radiations ? « Les textes restent imprécis en terme de procédure, car les procédures disciplinaires existantes sont longues et ne correspondent pas aux délais indiqués par la loi, poursuit Marianne Benoit Truong Canh. En principe, une suspension en urgence est prononcée par l’ARS pour cinq mois. Dans le même temps, la chambre disciplinaire de l’Ordre pourrait être saisie. Mais nous ignorons si ces procédures complexes vont être retenues ou si un autre dispositif va être mis en œuvre. » À
l’Organisation nationale des syndicats de sages-femmes (ONSSF), le discours est proche. « Il manque des précisions concernant les procédures de contrôles, étant donné que les données vaccinales relèvent du secret médical », note Camille Dumortier, sa présidente. Dans certains établissements, les sages-femmes ont dû remettre leur justificatif à la direction des ressources humaines. « Et quid des patientes des sages-femmes libérales non vaccinées qui continueraient d’exercer malgré tout ? Seront-elles remboursées ? », poursuit Camille Dumortier.

Marie Josset-Maillet, avocate et conseillère juridique de l’Union nationale syndicale des sages-femmes (UNSSF) s’interroge aussi sur les modalités de contrôle, notamment dans les maisons de santé pluridisciplinaire ou les établissements qui ne disposent pas d’une médecine du travail. « La suspension du droit d’exercice est une décision lourde et grave, souligne-t-elle. En principe, elle est soumise à une procédure particulière, impliquant des modalités de convocations spécifiques, le respect de délais, de saisine et de recours, l’audition de la personne qui encourt la suspension, l’échange d’écritures. Les employeurs vont être contraints d’improviser, car la loi a en fait créé un nouveau cas de suspension du contrat de travail. Certaines décisions de suspension pourront être contestables devant les tribunaux. Les procédures habituelles encadrant la suspension du droit d’exercer n’étant pas adaptées à l’urgence, elles ne sont pas compatibles avec la situation actuelle.»

L’UNSSF veut rester neutre vis à vis des mesures annoncées. « Un syndicat n’a pas à se positionner pour ou contre la vaccination, estime Marie-Anne Poumaer, sa présidente. Nous constatons un débat passionnel sur ce sujet. Notre rôle est d’informer nos adhérentes et de les aider. Nous sommes en train d’étudier plus finement les textes. »
À l’hôpital, plusieurs syndicats généralistes, comme la CGT, se sont opposés à l’obligation vaccinale pour des raisons politiques. Ils regrettent des mesures infantilisantes et coercitives après tous les efforts consentis par les soignants pendant la crise. La rancune s’exprime dans des tracts. Dans celui de l’Usap-CGT de l’AP-HP diffusé mi-juillet, le syndicat rappelle le manque de protection des soignants lors de la première vague, l’obligation pour les malades légers du Covid de venir travailler à l’hôpital, les fermetures de lits, etc…

VACCINATION EN PROGRESSION

Les données de la vaccination tendent à indiquer que les sages-femmes ne sont pas les plus opposées à la stratégie vaccinale et que l’obligation produit les effets attendus par le Gouvernement. Selon celles de Santé Publique France (SPF), communiquées par la DGS aux représentants des professionnels de santé, 85 % des sages-femmes libérales avaient reçu une première injection au 8 août 2021, soit avant l’entrée en vigueur officielle de l’obligation vaccinale. Cette proportion était plus faible que celle des médecins généralistes (91 %), proche de celle des pharmaciens (89 %) et plus importante que celle les infirmières (76 %). Ces données seront réactualisées mi-
septembre.

Concernant la situation dans les établissements de santé, il faudra attendre fin septembre ou début octobre pour avoir des données précises. Les dernières datent du 26 juillet, soit avant l’entrée en vigueur de l’obligation vaccinale le 5 août. SPF a en effet conduit une enquête auprès des établissements de santé publics ou privés entre le 12 et le 26 juillet pour évaluer la couverture vaccinale des professionnels de santé. Seuls 20 % des établissements ont répondu. SPF a ensuite comparé les informations concernant 35 établissements ayant participé à la fois au point de mesure de mai 2021 et à celui de juillet 2021.

Les disparités étaient importantes selon les catégories professionnelles. Ainsi, la couverture vaccinale était plus élevée chez les médecins, 76,2 % ayant reçu une dose et 70,6 % étant complètement vaccinés. L’étude recense près de 60 % de sages-femmes exerçant en établissement ayant reçu au moins une dose et 54,3 % ayant un schéma vaccinal complet au 26 juillet, une proportion proche des taux enregistrés pour les infirmières et plus élevée que ceux collectés pour les aides-soignants.

Les internes et les étudiants, plus jeunes, présentaient la plus faible couverture vaccinale. « Cette faible couverture vaccinale est sans doute le miroir de la plus faible couverture vaccinale dans les classes d’âge de moins de 30 ans en population générale », souligne SPF. L’organisme insiste sur les risques de sous-estimation, étant donné que des soignants ont pu se faire vacciner en dehors de leur établissement, sur leur lieu de vacances, sans que les déclarants de l’enquête n’en aient eu connaissance. Par ailleurs, l’enquête ne peut distinguer la proportion de soignant n’ayant reçu qu’une dose en raison d’antécédents de Covid-19, information non déclarée aux employeurs.

Plus grossières, les estimations et enquêtes « flash » de SPF à partir de la base Vaccin Covid notent une progression importante de la vaccination chez les professionnels de santé en établissement. Les bulletins épidémiologiques réguliers de l’organisme rapportent que 83,9 % des soignants hospitaliers avaient reçu une première injection le 17 août, contre 81,3 % le 10 août et 67 % le 26 juillet. La vaccination complète était estimée à 73,8 % le 17 août, contre 70 % une
semaine plus tôt et 56 % fin juillet.

Les contre-indications à la vaccination
Les contre-indications ont été actualisées par la Haute autorité de Santé, dans un décret du 7 août 2021. Elles reprennent les contre-indications médicales listées dans les notices des vaccins, notamment les antécédents documentés d’allergie à un des composants du vaccin (polyéthylène-glycols et polysorbates), une réaction anaphylactique – de grade 2 et plus – suite à une première injection et expertisée par un allergologue ou des épisodes de syndrome de fuite capillaire. La plupart des notices ajoutent des avertissements concernant les personnes présentant des antécédents de problèmes respiratoires sévères après l’injection d’un vaccin, de troubles hémorragiques ou traités par anticoagulants, une immunodéficience ou souffrant d’une forte fièvre ou d’une infection sévère. La HAS contre-indique l’injection d’une première dose en cas de syndrome inflammatoire multi systémique pédiatrique (PIMS) post-Covid-19 et déclare valable toute recommandation médicale de ne pas initier une vaccination. Sans surprise, elle contre-indique l’injection d’une seconde dose en cas d’événement indésirable grave survenu après celle de la première dose (myocardite, syndrome de Guillain-Barré). La HAS déconseille aussi de façon temporaire la vaccination en cas de traitement par anticorps monoclonaux anti-Sars-Cov-2 et en cas de myocardites ou péricardites survenues avant la vaccination et toujours évolutives. Selon les consignes de la Direction générale de la santé, les soignants salariés peuvent présenter un certificat de contre-indication au médecin du travail, qui en informe l’employeur. Le médecin conseil de la caisse d’Assurance Maladie de rattachement peut contrôler tout certificat de contre-indication à la vaccination transmis par les professionnels libéraux.

■ Nour Richard-Guerroudj