Maisons de naissance : un déploiement fragile

Fin 2021, le Gouvernement a ouvert la voie à la généralisation des maisons de naissance, tout en l’encadrant strictement. Près de vingt-quatre projets, au moins, sont en gestation pour les années à venir. Mais en l’absence de solutions juridique et économique pérennes, la fragilité du modèle perdure.

Déployer les maisons de naissance, mais très lentement. Telle semble l’option choisie par le Gouvernement. Avec la publication, fin 2021, de trois textes encadrant l’ouverture de nouvelles structures, le Gouvernement suit à la lettre les préconisations du rapport au Parlement remis par le ministère de la Santé en janvier 2020. Ce dernier recommandait d’inscrire dans le droit ce nouveau modèle d’organisation pour le pérenniser. En même temps, le rapport préconisait de limiter le nombre de nouvelles structures, d’éviter un déploiement trop large dans l’immédiat et d’attendre de nouvelles études médico-économiques pour revoir les modalités de financement actuelles. Ainsi, le financement pérenne des maisons de naissance est encore reporté après les élections présidentielle et législatives de 2022, au mieux.

La maison de naissance Premières Heures au monde (PHAM) de Bourgoin-Jallieu est l’une des huit structures expérimentatrices.
© Debohra Saba

LE NERF DE LA GUERRE

Pour l’instant, pour couvrir leurs frais de fonctionnement, les maisons de naissance bénéficient toujours d’une enveloppe du fonds d’intervention régional (FIR). Elle est de 150 000 euros lorsque les sages-femmes sont salariées et de 170 000 euros lorsqu’elles sont en libéral, 20 000 euros étant alors destinés à couvrir leurs frais d’assurance professionnelle. L’autre voie de financement repose sur la facturation des actes réalisés par les sages-femmes. Pourtant, le rapport du ministère de la Santé affirmait bien que ces modalités « ne sont pas à même d’assurer la soutenabilité organisationnelle et financière des structures dans la durée ».

« Les décrets pérennisant les maisons de naissance sont décevants car rien n’est précisé en matière juridique et financière, témoigne Debohra Saba, usagère et présidente du Collectif des maisons de naissance. Nous espérions des propositions et solutions concrètes et il n’est pas normal que le financement soit fixe et qu’il n’augmente pas en fonction du nombre de naissance. » Le rapport du ministère de la Santé affirmait bien, sur la base des informations fournies par le cabinet d’audit Government Healthcare, que le mode de financement actuel « n’incite pas les maisons de naissance à augmenter leur activité et tend même à la modérer, pour faire face notamment aux coûts d’astreinte et de remboursement des assurances qui croissent avec l’activité. »

Car les charges sont nombreuses. Outre le loyer pour les locaux, particulièrement élevé dans les grandes agglomérations, les maisons de naissance doivent assurer une permanence des soins, en rémunérant des sages-femmes d’appui en astreintes. Pour l’instant, ces astreintes ne sont pas valorisées financièrement et chaque structure les finance selon son propre modèle économique. Autre poste de dépense important : le coût des assurances professionnelles pour l’activité d’accouchement. Ce coût est fixe, qu’une sage-femme exerce ou non à temps partiel, pesant d’autant plus sur le budget de la maison de naissance. 

UN MODÈLE EFFICIENT MAIS FRAGILE

L’enveloppe du FIR ne couvre pas non plus totalement les temps de transmission d’informations médicales, de retours d’expérience entre sages-femmes, de coordination technique, de logistique médicale, de formation aux gestes d’urgence maternelle et néonatale et d’échanges réguliers avec la maternité partenaire. 

Chacune des huit maisons de naissance en activité a développé tant bien que mal son propre modèle économique, à l’équilibre fragile. Le Collectif des maisons de naissance tente de capitaliser sur cette expérience pour informer les porteurs de nouveaux projets et leur faciliter la tâche. Mais, alors que l’enveloppe du FIR est parfois versée en plusieurs tranches, voire en milieu d’exercice, les porteurs de projets devront s’ingénier à récolter des fonds pour financer les premiers investissements pour des travaux, l’achat de matériel, etc.

Les sages-femmes espèrent que l’Assurance Maladie ouvrira vite des négociations sur l’accompagnement global, notamment pour que l’accompagnement personnalisé du travail puisse être coté, au-delà du seul accouchement, actuellement rémunéré à hauteur de 376,20 euros. Pour l’instant, aucun calendrier de négociation n’est fixé et il faudra sans doute attendre la fin de la période électorale qui s’ouvre. « Nous en sommes toujours au stade 0 au niveau juridique et financier », se lasse Béatrice Goffin, sage-femme en suivi global et co-fondatrice de la maison de naissance Le Temps de naître, en Guadeloupe.

En attendant l’avènement de nouveaux dispositifs de financement, les maisons de naissance recourront donc toujours aux dépassements d’honoraires, rétrocédés en partie à la structure. Six maisons de naissance sur les huit en activité en pratiquaient pendant la phase expérimentale. Cette solution limite de fait l’accès à cette offre de soins aux seuls couples qui en ont les moyens. 

Pourtant, le coût optimisé d’un accouchement en maison de naissance ne serait pas plus élevé qu’en clinique privée, et serait moins cher que dans les établissements publics. Le rapport médico-économique présenté par le Collectif des maisons de naissance en 2019 au Parlement a établi des comparaisons. Il a pris en compte l’ensemble des charges et tablé sur un reversement d’honoraires des sages-femmes à la structure. Il estime ainsi le coût d’un accouchement en maison de naissance à 3367 euros, identique au tarif appliqué aux établissements privés (3361 euros) et inférieur au tarif moyen du public, qui s’élève à 3660 euros. Le rapport souligne qu’« à niveau de coût équivalent, la maison de naissance génère moins de dépenses médicotechniques ou de logistique générale. Les ressources sont principalement utilisées pour rémunérer du temps passé au contact des parents, pour être disponible et pour se coordonner. »

Pour sa part, le rapport remis au parlement par le ministère de la Santé a comparé le tarif le plus fréquemment appliqué chez les primipares en maternité (GHM des « accouchements uniques par voie basse chez une primipare sans complications significatives ») au coût estimé d’un accouchement en maison de naissance. Ce dernier est 45 % moins cher, ce qui en fait une « alternative crédible du point de vue des coûts », estime le rapport. 

Pour permettre aux maisons de naissance de recevoir des financements spécifiques de l’Assurance Maladie et des ARS, le Collectif demandait notamment la possibilité
d’obtenir un statut juridique proche de celui des maisons de santé. Actuellement, le statut associatif ne permet pas aux sages-femmes d’être salariées et administratrices de la structure. La gestion financière et administrative repose donc sur du bénévolat, peu motivant sur la durée.

DAVANTAGE DE CONTRAINTES

S’ils n’ont pas résolu les problèmes juridiques et financiers, les décrets du 22 novembre et du 21 décembre 2021 ont en revanche imposé des exigences supplémentaires. Des points de détail qui n’en ont pas moins des impacts très concrets. Sans surprise, les nouveaux décrets demandent toujours la contiguïté des maisons de naissance à leur maternité partenaire. Le décret du 22 novembre 2021 stipule que la maison de naissance doit disposer « d’un accès direct à l’établissement de santé partenaire ». Cet accès doit permettre des transferts en « transport non motorisé en position allongée des parturientes et des nouveau-nés ». Débohra Saba en détaille les conséquences : « Nous nous attendions à cette mention, mais elle limite de fait l’ouverture de maisons de naissance, car tous les établissements ne disposent pas de locaux sur leur terrain ni de la possibilité d’en construire. Un local jouxtant l’hôpital mais séparé d’une petite rue sera aussi retoqué. » Par exemple, à Bourgoin-Jallieu, en Isère, la maison de naissance déjà en activité souhaiterait s’agrandir, mais les locaux visés sont séparés de la maternité par une rue. 

Ces décrets fixent aussi une nouvelle contrainte : les maisons de naissance doivent rester ouvertes toute l’année pour répondre aux besoins. Jusqu’ici, certaines structures fermaient un mois par an. « Au Temps de naître, le turnover de sages-femmes est important, en raison de congés maternité par exemple, et nous avons été entre 2 et 6 sages-femmes à proposer un suivi global selon les périodes, témoigne Béatrice Goffin. Nous fermions donc un mois par an. »

Enfin, les décrets précisent le niveau d’expérience exigé pour qu’une sage-femme puisse pratiquer en maison de naissance. Durant la phase expérimentale, il leur était demandé deux ans d’expérience, sans plus de précisions. Cette fois, les textes demandent la pratique des accouchements au cours des deux années qui précèdent l’intégration à une maison de naissance. L’expérience acquise durant les études ne peut être prise en compte. « Ces précisions posent problème, car nous avons du mal à recruter des sages-femmes d’appui, étant donné qu’elles sont mal rémunérées, explique Debohra Saba. Une sage-femme libérale qui n’avait pas pratiqué d’accouchement pendant deux ans et des jeunes diplômées étaient parfois intéressées. »

Le coût d’un accouchement en maison de naissance équivaudrait à celui d’une clinique privée, inférieur au coût en établissement public. © Debohra Saba

NOMBREUX PROJETS

Malgré ces freins, le Collectif des maisons de naissance a répertorié pas moins de vingt-quatre projets en gestation, couvrant de nombreuses régions. « Chacun est à un stade d’avancement différent, témoigne Élodie Verdier, usagère et membre de la commission « nouveaux projets » du Collectif. Treize projets ont déjà constitué leur association. Certains ont déjà recruté l’équipe de sages-femmes, d’autres ont trouvé la maternité partenaire, deux ont déjà trouvé les locaux. Certaines maternités partenaires particulièrement motivées ont proposé de construire de nouveaux locaux pour la maison de naissance. D’autres projets ne font que débuter. Ils appellent les professionnelles intéressées à les rejoindre. Outre ces vingt-quatre projets, d’autres semblent en train de mûrir, d’après les contacts que nous avons. » En 2022, seuls douze projets pourront aboutir et obtenir un financement, selon la loi de financement de la Sécurité sociale votée à l’automne dernier. « Nous ignorons quels critères seront retenus, ou si les autorisations seront délivrées dans l’ordre de dépôt des dossiers », souligne Debohra Saba. 

Par exemple, à Strasbourg, l’association Berç’O est constituée et a noué des liens avec le Centre médico-chirurgical et obstétrical (CMCO) de Schiltigheim, un des établissements du CHU. Dans les Hauts-de-France, l’association Naissance en N’Or a été créée en novembre 2020 sous l’impulsion d’un groupe de sages-femmes. Des contacts ont été pris avec l’ARS et le réseau de périnatalité Orhéane en 2021 et la maternité partenaire devrait être celle du centre hospitalier de Tourcoing. L’association envisage de faire construire des locaux neufs et est en recherche active de mécènes, tout en préparant son dossier de candidature.

En Polynésie française, la situation est quelque peu différente, puisque cette collectivité d’outre-mer bénéficie d’une autonomie politique, y compris dans le domaine sanitaire. Depuis 2015, l’association Naître en Polynésie travaillait sur un projet qui a abouti en janvier 2021, avec la création de l’association Maison de naissance Tumu Ora, dédiée à la gestion de la future structure. Elle a déjà obtenu un accord de financement de la Caisse de prévoyance sociale de 184 000 euros environ. Cette somme couvrira les coûts, à l’exception des frais d’investissement pour travaux et achat de matériel. Mais aucun dépassement d’honoraires ne sera demandé aux parents et l’association espère récupérer les frais de démarrage avancés auprès de la direction de la Santé polynésienne. La convention médicale est signée avec la maternité partenaire de Tahiti et les trois sages-femmes référentes et huit sages-femmes de soutien espèrent accueillir les premières naissances en ce mois de mars. 

« La principale difficulté que nous avons rencontrée, c’est d’arriver à synchroniser la location de la maison, l’accord de financement, la signature de la convention, la formation d’une équipe de sages-femmes, témoigne Sandrine Maurice, une des sages-femmes coordinatrices du projet. Le point positif c’est que nous avons eu un grand soutien du ministre de la Santé local, un accueil favorable de la Caisse de prévoyance sociale, de la maternité publique et des sages-femmes libérales. À chaque réunion ou rencontre autour du projet, il y a toujours une personne qui s’est sentie personnellement concernée et l’a exprimé, car elle aurait aimé une telle prise en charge pour la naissance de ses enfants. »

Malgré le parcours de combattant que cela demande, des sages-femmes sont donc prêtes à ne pas compter leurs heures pour mettre sur pied de telles structures. La France rattrapera-t-elle son retard ?
Il existe près de 169 maisons de naissance au Royaume-Uni, une centaine en Allemagne et 25 en Suisse. La période de transition actuelle, avec un financement encore temporaire, ne laisse pas présager un rajustement rapide.

Un webinaire pour en savoir plus

Le Collège national des sages-femmes de France organise un webinaire intitulé « Les Maisons de naissance : alternative ou futur de la maïeutique ? » le 10 mars 2022 de 18 h à 20 h. Modéré par Adrien Gantois, président du CNSF, et Anne Chantry, vice-présidente scientifique, il donnera l’occasion de présenter les standards des maisons de naissance, formalisés par le Midwifery Unit Network dès 2018 et tout juste traduits en français. Plusieurs études scientifiques sur les maisons de naissance, publiées ou en cours, seront également présentées. Clara Rollet comparera les résultats des maisons de naissance à ceux des maternités. Manon Milan abordera le positionnement des sages-femmes de maison de naissance par rapport à l’administration préventive d’ocytocine tandis qu’Assetou Fofana traitera des pratiques de protection périnéale en maison de naissance. Une table ronde abordera enfin les futurs projets de maison de naissance et apportera les éléments de connaissance aux sages-femmes qui souhaiteraient se lancer dans l’aventure.

Inscription obligatoire.

 Pour aller plus loin :

•  Site du Collectif des maisons de naissance : accoucher-maison-naissance.fr

•  Décret n° 2021-1526 du 26 novembre 2021 relatif aux maisons de naissance.

•  Décret n° 2021-1768 du 22 décembre 2021 relatif aux conditions techniques de fonctionnement des maisons de naissance.

•  Arrêté du 22 décembre 2021 fixant le contenu du dossier de demande de création des maisons de naissance, la composition de leur charte de fonctionnement ainsi que le contenu de leur rapport d’activité annuel.

•  Pour aider financièrement le projet Naissance en N’Or : https://www.helloasso.com/associations/naissance-en-n-or

■ Nour Richard-Guerroudj