Ménorragies, quoi de neuf ?

Première cause de consultation des femmes entre 30 et 50 ans, les ménorragies demandent un diagnostic fin et une prise en charge graduée. En 2022, le Collège national des gynécologues et obstétriciens de France a actualisé les recommandations de pratique clinique sur le sujet.

Cropped shot of a woman suffering from stomach cramps on the sofa at home. © Charday Penn - istockphoto.com

« Suite à la crise des progestatifs et devant le besoin de mieux considérer les alternatives à l’hystérectomie, il était nécessaire de proposer de nouvelles recommandations concernant la prise en charge des ménorragies. » Le professeur Jean-Luc Brun, chirurgien gynécologue au CHU de Bordeaux, a coordonné le texte publié sous l’égide du Collège national des gynécologues-obstétriciens français (CNGOF) en 2022 (1). Il remplace donc les recommandations de 2008 et répond à 37 questions selon la méthodologie Pico-Grade, approche qui évalue et compare pour une population ou un problème donné les interventions et leurs résultats, en attribuant des grades de preuve plus ou moins élevés.

CRISE DES PROGESTATIFS ET APPARENTÉS

Les spécialistes ont en effet craint une augmentation des hystérectomies de première ou deuxième intention suite aux restrictions de prescriptions ou au retrait de plusieurs traitements progestatifs et apparentés (modulateurs sélectifs des récepteurs à la progestérone), jusqu’alors employés pour traiter les ménorragies associées à un fibrome ou à de l’endométriose. La première « crise » a concerné l’acétate d’ulipristal (Esmya®). Employée comme traitement des fibromes utérins avant chirurgie, la molécule a fini par perdre son autorisation de mise sur le marché (AMM) européen en 2020, en raison de risques hépatotoxiques jugés graves, suite à de premières alertes en 2017. Une étude d’Audrey Chevrot note d’ailleurs que les hystérectomies dans le traitement des fibromes utérins augmentent de 42 000 à 44 000 dès 2018 (2).

En 2021, l’Agence française de sécurité du médicament (ANSM) et la Caisse primaire d’assurance maladie confirment un surrisque de méningiome chez les femmes exposées à l’acétate de nomégestrol (Lutényl® et ses génériques) ou à l’acétate de chlormadinone (Lutéran® et ses génériques). Ces macroprogestatifs sont désormais indiqués seulement en dernier recours, pour traiter une endométriose ou des -ménorragies associées à un fibrome en préopératoire et pendant une période courte (3). Leur utilisation implique une surveillance par IRM cérébrale.

Mais la mise à jour des recommandations met d’abord l’accent sur le diagnostic, largement perfectible, des ménorragies. Le nouveau texte traite à part le cas particulier du diagnostic chez les adolescentes, avant de consacrer de longs chapitres aux différents traitements, selon que les ménorragies sont idiopathiques ou associées à une étiologie.

AFFINER LE DIAGNOSTIC

Chez les femmes adultes, le ressenti de règles trop abondantes est désormais suffisant pour en rechercher l’origine. Le recours au score de saignement, dit des pictogrammes (PBAC ou Higham, voir page 25), pour évaluer le volume des règles n’est conseillé qu’en cas de doute. L’examen d’imagerie de première intention reste l’échographie pelvienne, à la recherche d’une hypertrophie de l’endomètre, de polypes, d’un fibrome ou d’une endométriose. Pour qu’il garde une bonne sensibilité, l’examen doit être réalisé par un médecin expérimenté « connaissant bien les pathologies gynécologiques », souligne le professeur Brun. En cas d’échographie normale et quand la femme n’a pas de traitement hormonal, un bilan sanguin est à envisager pour rechercher un éventuel problème de coagulation (maladie de Willebrand).

L’IRM est recommandée en cas de difficultés diagnostiques face à des myomes justifiant d’un traitement conservateur ou en cas de suspicion d’adénomyose. Par ailleurs, une biopsie de l’endomètre est recommandée si l’endomètre mesure 15 millimètres et plus ou en cas de facteurs de risque de cancer de l’endomètre (obésité, diabète, nulliparité).

Concernant les adolescentes, réaliser un score de PBAC ou de Higham est toujours recommandé, de même qu’un bilan d’hémostase en première intention. En effet, les anomalies de coagulation sont retrouvées dans 10 % à 65 % des cas dans cette population. En cas de bilan anormal, le CNGOF recommande d’orienter vers le spécialiste de l’hémostase d’un centre de référence des pathologies gynécologiques rares. En cas de bilan normal, là encore, l’échographie pelvienne demeure l’examen de première intention.

À cette étape du diagnostic, les sages-femmes jouent un rôle fondamental, tout comme les autres professionnels assurant le suivi gynécologique des femmes. « Il est fréquent que le diagnostic soit imparfait, induisant des traitements inappropriés, souligne Jean-Luc Brun. Les sages-femmes ont aussi un rôle d’écoute important, pour éviter la banalisation des ménorragies. » 

RESPECTER LES SOUHAITS

Dans la majorité des cas, estimés à 80 %, les ménorragies n’ont pas de cause associée. Chez les adolescentes, des ménorragies idiopathiques peuvent être traitées de façon hormonale ou par une prescription d’acide tranexamique (Exacyl®, Spotoff®).

Chez les adultes, le traitement dépend toujours du désir des femmes de conserver leur capacité de procréation ou leur utérus. « Les traitements peuvent varier selon que le désir d’enfant est immédiat ou différé, détaille Jean-Luc Brun. Et nous sommes allés plus loin concernant les femmes de plus de 42 ans sans projet parental, en proposant des traitements conservateurs si elles le souhaitent, car c’est une demande à entendre. »

En cas de ménorragies idiopathiques, si la femme envisage un projet de grossesse immédiat, un traitement -antifibrinolytique est indiqué. « L’acide tranexamique est le plus documenté dans la littérature, précise Jean-Luc Brun. Les études sont moins bonnes concernant les autres antifibrinolytiques. Quant aux AINS, ils sont efficaces sur la douleur associée aux saignements mais bien moins concernant leur abondance. » En cas de désir de grossesse différé, le DIU hormonal au lévonorgestrel (DIU-LNG) est recommandé en première intention. Il s’agit du traitement hormonal « le plus fiable et ayant fait preuve d’efficacité », selon le professeur. « Les sages-femmes peuvent prescrire plusieurs de ces traitements, mais elles ne doivent pas insister sur les thérapies qui ne fonctionnent pas et savoir passer la main en cas de besoin de chirurgie », souligne Jean-Luc Brun. 

Au-delà de 42 ans, quand la femme souhaite conserver son utérus, il est recommandé de procéder en première intention à une résection endométriale, ou une thermocoagulation endométriale, pour « éviter les effets secondaires des médicaments », selon le spécialiste. 

L’hystérectomie par voie cœlioscopique ou vaginale est à proposer à celles qui peuvent envisager de perdre leur utérus. Les femmes doivent être informées que le risque de chirurgie itérative est plus élevé chez les femmes traitées de façon conservatrice et que l’hystérectomie expose à des risques de complications postopératoires plus fréquents.

PLUSIEURS OPTIONS

En cas d’hyperplasie endométriale sans atypie, l’arbre décisionnel est identique à celui des ménorragies idiopathiques. En revanche, dans les rares cas d’atypie, et si la femme souhaite conserver son utérus, la prise en charge demande une concertation pluridisciplinaire comme celle proposée par le réseau Préservation de la fertilité et cancer de l’endomètre (PREFERE). 

Concernant les fibromes (myomes de type 3 et plus), plusieurs possibilités s’offrent aux femmes qui souhaitent procréer. En cas de désir de grossesse différé, la pose d’un DIU hormonal trouve là encore sa place. La prise d’antigonadotropes peut aussi être proposée pendant trois à six mois maximum. « Au-delà de cette durée, un autre traitement est à envisager, en raison des risques d’ostéoporose et cardiovasculaires », insiste Jean-Luc Brun. Une embolisation des artères utérines (EAU), jusque-là réservée aux femmes qui ne souhaitaient pas de grossesse, peut être proposée, tout comme une myomectomie. « Des études récentes ont montré que l’EAU n’affectait pas la fertilité », précise le professeur Bordelais. Les femmes doivent toutefois être informées du risque accru de fausse couche par rapport à la myomectomie. L’ensemble de ces traitements peut être aussi proposé aux femmes ne souhaitant plus procréer, mais conserver leur utérus. Au vu de la littérature, les experts ont estimé difficile de « hiérarchiser les traitements »

Dans le cas d’une adénomyose, on retrouve le DIU-LNG en première intention pour les femmes qui désirent conserver une capacité de procréation. Il peut être proposé avec l’endométrectomie à celles qui n’envisagent pas de grossesse, mais souhaitent conserver leur utérus. Là encore, les femmes doivent être informées des risques d’échec nécessitant une hystérectomie en deuxième intention. Pour toutes les pathologies utérines, l’hystérectomie reste le traitement le plus efficace chez celles qui acceptent de perdre leur utérus. L’opération doit être réalisée par voie cœlioscopique ou vaginale « par des chirurgiens expérimentés », selon le gynécologue.

« Nous n’avons pas tordu le cou aux progestatifs oraux, mais nous recourrons davantage au DIU hormonal pour réduire les chirurgies conservatrices ou radicales, résume le professeur Brun. On savait que la communauté des gynécologues allait réagir, mais nous n’avions pas d’argument scientifique pour défendre l’utilisation des norprégnanes (nomégestrol, promégestone…) et des progestatifs français dont certains n’ont pas d’AMM dans cette indication. Les progestatifs faisant l’objet d’études ne sont pas disponibles en France. Surtout, les nouvelles études sur la thermocoagulation en cas myome interstitiel montrent une efficacité. De même, la littérature montre que le DIU hormonal est le seul traitement alternatif à l’hystérectomie qui soit efficace en cas d’adénomyose. Cela nous a ouvert des perspectives pour les femmes qui acceptent qu’un traitement ne soit pas efficace à 100 %, comme l’hystérectomie, mais à 70 %. »

© J.-L. Brun et coll. Recommandations pour la pratique clinique. Prise en charge des ménorragies : recommandations pour la pratique clinique du Collège national des gynécologues et obstétriciens français. Gynécologie Obstétrique Fertilité et Sénologie 50 (2022) 345-373

PERSPECTIVES DE RECHERCHE

Sur de nombreux aspects, les experts ont manqué de preuves pour rédiger leurs recommandations. « Nous avons formulé des protocoles de recherche chaque fois que nous ne pouvions répondre à une question, proposant ainsi 37 études, précise Jean-Luc Brun. Par exemple, nous manquons de littérature comparant l’efficacité de l’acide tranexamique à celle des pilules chez les adolescentes. Il faudrait aussi évaluer l’efficacité et la tolérance des progestatifs par voie orale, des contraceptions œstroprogestatives et de l’implant à l’étonogestrel dans les ménorragies idiopathiques. » Les experts souhaitent aussi étudier les facteurs exposant aux risques d’échec thérapeutique et de chirurgie itérative après traitement des ménorragies idiopathiques par le DIU-LNG ou par chirurgie conservatrice. 

En 2019, date des dernières données disponibles, près de 37 000 hystérectomies par an étaient dénombrées pour fibromes ou adénomyose, soit 62 % de l’ensemble des hystérectomies réalisées en France (2). Ce chiffre va-t-il se stabiliser ou augmenter ? « Ce n’est pas parce que nous disposons de moins de traitements que nous devons réaliser davantage d’hystérectomies, insiste Jean-Luc Brun. Nous valorisons les techniques alternatives de type endométrectomie de première génération ou embolisation, datant de 30 ans car efficaces. Il sera intéressant d’observer le taux d’hystérectomies suite aux recommandations. En effet, les techniques alternatives récentes, dites de deuxième génération, comme la thermocoagulation de l’endomètre par ballonnet chauffant, sont souvent sous-employées. Ces actes sont peu valorisés dans la tarification à l’activité alors que les consommables coûtent cher. » Suivre le nombre d’hystérectomies permettra d’évaluer l’appropriation et la faisabilité des recommandations sur le terrain.

■ Nour Richard-Guerroudj

Sources :

(1)J.-L. Brun et coll. « Recommandations pour la pratique clinique. Prise en charge des ménorragies : recommandations pour la pratique clinique du Collège national des gynécologues et obstétriciens français », Gynécologie Obstétrique Fertilité et Sénologie 50 (2022) 345-373

(2) A.Chevrot et coll. « Hystérectomie : évolution des pratiques entre 2009 et 2019 en France », Gynécologie Obstétrique Fertilité et Sénologie 49 (2021) 816-822

(3) « Recommandations d’utilisation de l’acétate de nomégestrol (Lutényl et génériques) et de l’acétate de chlormadinone (Lutéran et génériques) et risque de méningiome / suivi des patientes », ANSM, 12 janvier 2021