« On ne naît pas orthogéniste, on le devient » Entretien avec Claire Wolker-Jarfaut

Adoptée en mars dernier, la loi sur le renforcement de l’accès à l’IVG a été saluée par nombre de féministes et de professionnelles de santé. Claire Wolker-Jarfaut, sage-femme à Troyes, coprésidente de l’Association nationale des sages-femmes orthogénistes (Ansfo), fait le point.

Claire Wolker-Jarfaut
Claire Wolker-Jarfaut

Quelle est la mesure phare de cette loi ?

Elle était très attendue. En amont et dans l’ombre, il y a eu un gros travail de fond de toutes les associations et collectifs féministes, de divers professionnels, en collaboration avec la députée Albane Gaillot qui a fait preuve d’une vraie ténacité politique. La mesure phare est l’allongement du délai légal de l’accès à l’IVG jusqu’à 16 semaines d’aménorrhée. Chaque année, en France, 3000 à 4000 femmes partaient à l’étranger pour réaliser une IVG. Pour ces femmes, contraintes à un parcours extrêmement difficile, à leurs frais, c’était toujours trop. Tous les orthogénistes ont été confrontés à cette date butoir. Quand une femme en détresse nous sollicitait et que nous nous apercevions qu’elle avait dépassé le délai légal, souvent de très peu, c’était frustrant de ne pas pouvoir lui venir en aide.

Les autres points sont-ils aussi importants ?

L’obligation des professionnels d’informer sur les méthodes abortives, qui fait aussi partie de cette nouvelle loi, va au-delà d’une simple information. Désormais, les professionnels doivent définir l’IVG, présenter les différentes méthodes et les parcours. Ils doivent aussi répondre aux questions des patientes dans le cadre d’un entretien personnalisé. Malgré une éventuelle clause de conscience, le professionnel doit donc informer de façon exhaustive et orienter la patiente pour que son parcours puisse aboutir. Ce devoir d’information est renforcé. Il sera accompagné de la création d’un répertoire des professionnels pratiquant les actes d’IVG qui doit être tenu par les ARS. Il faudra faire un travail de veille et de réactualisation, notamment du côté des professionnels de ville, car cela évolue régulièrement. 

La disparition du délai de 48 heures entre l’entretien psychosocial et la réalisation de l’acte pour les mineures permet également de gagner du temps sur le parcours.

Les mesures à propos de l’IVG médicamenteuse, établies dans le cadre de la crise sanitaire et de l’état d’urgence, sont également prolongées. Les téléconsultations, avec délivrance de médicaments en pharmacie et suppression de la première prise devant le professionnel de santé, ainsi que la possibilité de réaliser l’IVG à domicile jusqu’à 9 SA, sont désormais inscrites dans la loi, même si les pratiques sont très disparates selon les territoires. Dans notre centre, pendant la crise, nous avions maintenu les entretiens pré-IVG en présentiel, mais pratiqué les téléconsultations pour les entretiens post-IVG, facilitant l’adhésion des patientes. Cette possibilité est aussi appréciée des libérales, notamment pour leurs patientes éloignées des centres de santé.
Pour en bénéficier, les femmes doivent tout de même être à moins d’une heure d’un établissement. La suppression de l’obligation de la première prise de médicaments devant le professionnel est également facilitante pour certaines patientes. Mais ce choix de l’IVG à domicile ne peut se faire qu’après avoir obtenu une information éclairée, notamment lorsqu’elle a lieu entre 7 SA et 9 SA.
La femme doit être informée des quantités de saignement, de ce qu’elle peut voir au moment de l’expulsion, de la douleur…

Et à propos des IVG instrumentales ?

Le décret du 30 décembre 2021 autorise l’expérimentation pour les sages-femmes. La loi est arrivée après. La possibilité pour les sages-femmes de réaliser des IVG instrumentales est une autre mesure phare de cette loi. Mais à l’inverse de tout ce qui précède, elle n’est pas encore applicable. Nous attendons un décret qui élargira nos compétences. Pour l’instant, il doit y avoir une expérimentation de trois ans. Tous les hôpitaux ont dû recevoir l’information par leur ARS respective, qui a dû la transmettre aux communautés de sages-femmes. Il fallait déposer un dossier de candidature avant le 30 avril dernier, décrivant notamment le contexte en matière d’implication des sages-femmes en orthogénie. Sur le territoire, c’est très disparate.

Qu’attendre du nouveau Gouvernement pour améliorer l’accès à l’IVG ?

Il faudrait garantir un accès pour toutes, partout. Car les situations sont très différentes. Par exemple, dans certains centres, il n’y a pas d’unité de lieu. Cela complexifie et stigmatise les parcours des femmes. Un secrétariat dédié, des consultations d’anesthésie dédiées ainsi que des plages opératoires réservées, qui permettent de sécuriser l’accès me semblent aussi nécessaires. La population d’orthogénie est une vraie file active, à l’hôpital, mais aussi en libéral (c’est d’ailleurs un excellent mode de recrutement). Il faut donc un vrai parcours patient. Et cela devrait devenir un critère indispensable dans le processus de certification des hôpitaux. Il faudrait aussi mettre en place une véritable formation en orthogénie, pour les sages-femmes et les médecins. La discipline comprend l’IVG, mais aussi la contraception, la vie affective et la santé sexuelle, le repérage des violences… L’orthogénie permet une réflexion sur la place des femmes dans la société. La formation devient urgente face à la recrudescence des professionnels qui revendiquent une clause de conscience. Plusieurs centres ont fermé. La double clause de conscience pourrait également être supprimée. En pratique, elle a tendance à stigmatiser les patientes en demande d’IVG.

Comment vous êtes-vous intéressée à l’orthogénie ? 

À l’Association nationale des sages-femmes
orthogénistes (Ansfo), on s’inspire de Simone de Beauvoir, pour déclarer : « On ne naît pas orthogéniste, on le devient. » Car les sages-femmes sont très formées à la périnatalité. L’orthogénie est venue à moi plus tard, par le biais d’un poste de coordination des grossesses à haut risque et d’orthogénie, en 2010. J’ai été confrontée à la difficulté de recruter des praticiens pour assurer les consultations d’orthogénie. En 2016, nous avons obtenu une unité de lieu pour l’orthogénie et depuis 2017, les sages-femmes assurent les consultations et l’ensemble de la prise en charge des IVG médicamenteuses. Une collègue qui avait un DU d’échographie nous a formées. J’ai également suivi d’autres formations au sein de l’hôpital. Mais en matière d’IVG, le parcours de soins est fragile. À la moindre difficulté, des éléments de ce parcours peuvent disparaître. Il faut rester très vigilante pour garantir l’ensemble. Les sages-femmes sont de plus en plus nombreuses à s’investir. L’Ansfo s’étoffe progressivement. La vocation de l’association, qui fournit beaucoup d’informations, vise notamment à valoriser les sages-femmes à travers l’orthogénie. C’est une vraie ouverture pour les sages-femmes, qui se place en miroir de la lutte pour les droits des femmes et contre les violences.

Propos recueillis par Géraldine Magnan