Grèves : Que veulent les sages-femmes ?

La colère ne retombe pas chez les sages-femmes et les jours de grève se multiplient. Fait rare : le Gouvernement fait face à un front quasi uni de revendications.

Sages-femmes en quête de reconnaissance
Au Kremlin-Bicêtre, toutes les sages-femmes s’étaient déclarées en grève dans les services le 10 février. (photo publiée sur le groupe Facebook « Sages-femmes en lutte » ). © Jennifer Tournet.

Dans l’histoire récente des sages-femmes, le fait est suffisamment rare pour être souligné : cette fois, et malgré leurs différences, les sages-femmes espèrent bien afficher un front uni face aux autorités. La colère, la fatigue et la lassitude sont trop importantes. Il ne faut pas laisser poindre la moindre faille, la moindre divergence, dans laquelle pourraient s’engouffrer les autorités pour enliser le mouvement. Plus facile à dire qu’à faire. Mais pour la première fois, une intersyndicale a été créée. L’Organisation nationale des syndicats de sages-femmes (ONSSF), l’Union nationale des syndicats de sages-femmes (UNSSF) et l’Union fédérale médecins, ingénieurs, cadres, techniciens de la Confédération générale du travail (Ufmict-CGT) se sont associées. Les trois organisations ont même signé un communiqué de presse commun pour la grève du 10 février, auquel se sont joint nombre d’organisations professionnelles : Collège national des sages-femmes de France, associations nationales des étudiants, des sages-femmes territoriales, libérales, orthogénistes et coordinatrices… Une immense partie de la galaxie française de la maïeutique est donc réunie. Hausses des rémunérations et des effectifs sont les principales revendications d’une longue liste.

Sages-femmes en quête de reconnaissance
Au Kremlin-Bicêtre, toutes les sages-femmes s’étaient déclarées en grève dans les services le 10 février. (photo publiée sur le groupe Facebook « Sages-femmes en lutte » ). © Jennifer Tournet.

MULTIPLES REVENDICATIONS

Volontairement général, le communiqué de presse commun exige « des mesures concrètes et des engagements institutionnels forts ​pour permettre aux sages-femmes de gagner un salaire à la hauteur de leurs responsabilités, de prendre en charge les femmes et les familles dans des conditions de sécurité dignes de notre pays. » Côté rémunération, l’ONSSF et l’Ufmict-CGT semblent alignées. Elles demandent une augmentation franche et massive. « Les sages-femmes ont un bac + 5 ainsi que la responsabilité des mères et des enfants, note Camille Dumortier, sage-femme hospitalière à Nancy et présidente de l’ONSSF. À l’hôpital, une autre profession a à peu près les mêmes caractéristiques. Il s’agit des ingénieurs biomédicaux. Entre leur salaire et leur prime, ils débutent leur carrière à environ 3000 euros par mois. » Aujourd’hui, selon l’Ordre national des sages-femmes, une professionnelle de la fonction publique hospitalière perçoit lors de sa première année de carrière « un traitement indiciaire brut mensuel hors primes de 2085 euros ».

Vincent Porteous, de l’Ufmict-CGT, est plus précis dans ses demandes : « Nous partons de tellement loin que nous serons forcément déçus. Mais notre demande est très claire. Elle prend pour repère la carrière des ingénieurs biomédicaux, qui débutent avec un salaire à 2,3 SMIC (soit 3574 euros mensuels brut, NDLR). Nous demandons également une prime de technicité médicale, calquée sur la prime de technicité des ingénieurs. Cette prime permettra de reconnaître le caractère médical et la responsabilité inhérente à la profession de sage-femme. Cette variable permettra aussi de valoriser certains parcours cliniciens, en reconnaissant par exemple les multiples DU d’échographie, tabacologie ou autre qui ne sont aujourd’hui pas du tout valorisés. Ce système permettrait aussi de sortir de la soumission au directeur d’établissement et de récompenser davantage le mérite d’un parcours clinicien. Nous voulons une grille unique sans obstacle, avec un grade unique. Il faut également revaloriser le travail de nuit, les dimanches et les fériés. »

En parallèle, le cégétiste insiste sur la revalorisation des salaires de toutes les sages-femmes, qu’elles soient libérales, territoriales ou travaillant dans le privé. Mais pour ces dernières, les interlocuteurs avec qui il sera nécessaire de négocier sont différents. Leur cas ne sera cependant pas oublié. « Une note de cadrage du ministre permettrait tout de même de faire bouger les lignes pour elles-aussi », ajoute le syndicaliste. De son côté, Vincent Cicéro, sage-femme et coordonateur en maïeutique au centre hospitalier Antoine-Béclère, à Clamart, également représentant de l’UNSSF, est plus modeste : « Nous demandons une revalorisation de 500 euros pour un poste en entrée de carrière. Nous avons déjà eu 183 euros après le Ségur. Par les temps qui courent, ce n’est pas rien. »

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Au centre hospitalier de Lens, les sages-femmes ont conçu une campagne choc pour alerter sur leurs conditions. ©Timothée Legay.

UNE FEMME = UNE SAGE-FEMME

Autre demande phare : les effectifs. Les décrets de périnatalité qui fixent les effectifs a minima dans les établissement ont presque 23 ans. Alors que la publication des nouveaux décrets joue l’Arlésienne depuis plusieurs mois, les demandes des sages-femmes ne paraissent pas entendues. Pour Vincent Cicéro, de l’UNSSF, « le projet de texte est une provocation. » Sur le terrain, la situation apparaît catastrophique dans bon nombre de structures. « Aujourd’hui, il peut y avoir une seule sage-femme pour prendre en charge 20 mamans et 20 bébés !, s’insurge Camille Dumortier, de l’ONSSF. Les effectifs doivent être revus dans tous les secteurs, dans tous les services, y compris en PMI ! Aujourd’hui, les effectifs formés sont insuffisants. » Plusieurs établissements font en effet régulièrement face à des difficultés de recrutement, quand les libérales peinent à trouver des remplaçantes. « Le métier ne fait plus rêver, concède Camille Dumortier. Peu de personnes sont tentées par des jours, des nuits, des week-ends de stress maximum, des césariennes en code rouge, des contrats précaires, des fins de mois difficiles… »


« Il y a eu une densification du travail, avec des séjours plus courts et une plus grande concentration de patientes après la fermeture des petites maternités, ajoute Vincent Porteous, de l’Ufmict-CGT. Les sages-femmes font aujourd’hui des horaires démentiels. La plupart travaillent plus de 48 heures par semaine. » Aussi les syndicats martèlent-ils une seule et ancienne demande, sous forme de slogan : Une femme = une sage-femme. « Nous voulons tendre vers cela pour pouvoir faire des prises en charge dans le respect de la physiologie. Les conditions actuelles ne sont pas satisfaisantes pour les usagères et cela permet d’expliquer bon nombre de problèmes actuels que font remonter les patientes. » Vincent Porteous fait ainsi allusion aux violences obstétricales et à la maltraitance ordinaire dans les maternités. « Remettre du monde dans les maternités devient urgent ! L’arrêt de fermeture des capacités en lits est quant à lui une urgence absolue ! », ajoute-t-il. Hormis l’UNSSF, les syndicats demandent également l’arrêt de la fermeture des maternités.

À Bordeaux, le 10 février, les grévistes se sont rendues place de la Comédie pour être visibles (photo publiée sur la page du groupe Facebook Sages-femmes en Lutte) crédit : Sylvie Raymond
À Bordeaux, le 10 février, les grévistes se sont rendues place de la Comédie pour être visibles. (photo publiée sur le groupe Facebook Sages-femmes en Lutte) crédit : Sylvie Raymond

QUEL STATUT MÉDICAL ?

La question du statut des sages-femmes, que tous les protagonistes tentent d’apaiser au moment des négociations avec les autorités sanitaires, demeure un sujet de divergence. « Nous ne sommes pas tous d’accord, mais nous sommes dans l’union », veut croire Camille Dumortier, de l’ONSSF. « Aujourd’hui, nous avons une intersyndicale qui dialogue, renchérit Vincent Cicéro, de l’UNSSF. C’est la grande différence avec le mouvement de 2014-2015. » Reste que les deux syndicats continuent de s’opposer sur un nouveau statut, même si tous réclament la reconnaissance officielle du caractère médical de la profession. Côté ONSSF, le terme de « praticien hospitalier » a été abandonné au profit de celui « d’agent public ». « Nous voulons sortir de la fonction publique hospitalière, avec un droit d’option pour celles qui ne le désirent pas, explique Camille Dumortier. Aujourd’hui cette fonction publique hospitalière réunit tout le monde sauf le personnel médical. Nous demandons à être des agents publics comme les médecins, les pharmaciens ou les dentistes. Ils ont des obligations de formation beaucoup plus importantes, peuvent exercer en libéral plus librement. Aujourd’hui, nous sommes dans un statut hybride : personnel médical chez les non-médicaux. Dans certaines structures, nos cadres sont infirmières. Nous sommes sous leur autorité, ce qui est contraire à la déontologie des sages-femmes. »

À l’UNSSF, Vincent Cicéro semble moins enclin à camoufler cette divergence. Même s’il admet « la nécessité d’union », il souhaite que les sages-femmes restent dans la fonction publique. Globalement attachée au statut de fonctionnaire, l’Ufmict-CGT ne souhaite de son côté pas aborder ce point pendant les premières négociations avec le ministère, voulant à tout prix préserver le front uni indispensable aux échanges.

UNE REFONTE COMPLÈTE ?

En collaboration avec l’Anesf, l’ONSSF et l’Ufmict-CGT demandent aussi une réforme des études. Il s’agirait de créer une sixième année, donnant un peu de respiration aux étudiantes. Un stage plus long leur permettrait de s’implanter plus durablement dans un service ou dans un cabinet libéral. Le mémoire de fin d’études pourrait aussi devenir une thèse d’exercice. L’exigence paraît cohérente avec la reconnaissance naissante de la recherche en maïeutique. En parallèle, la CGT demande la mise en place des filières physiologiques gérées par les sages-femmes, promesse jamais tenue. Et l’UNSSF ajoute d’autre revendications. Vincent Cicéro souhaite par exemple modifier la terminologie entre les sages-femmes coordinatrices, cadres de proximité, et les sages-femmes coordonnatrices, qui sont chefs de pôle mais n’ont, selon lui, pas voix au chapitre. Il préfèrerait des sages-femmes coordinatrices en périnatalité, qui assureraient des missions de gouvernance dans les pôles. Il veut aussi que les sages-femmes soient intégrées au Centre national de gestion (CNG), la structure qui gère les carrières et les nominations.

Pour l’UNSSF, Vincent Cicéro défend également la création d’un entretien postnatal, au même titre que l’entretien prénatal précoce. « Nous souhaitons une lettre de cadrage du ministre allant dans ce sens », souligne-t-il, assurant avoir évoqué le point lors du premier rendez-vous. Avec une augmentation massive des rémunérations et des effectifs, un changement de statut et toutes les demandes annexes, les sages-femmes ne demandent rien de moins qu’une refonte complète du système de périnatalité en France. « Il y a eu un Ségur de la santé. Nous sommes dans cette même logique, argumente Vincent Cicéro. Il faut clarifier le rôle de la sage-femme. Avec leur statut d’infirmier en pratique avancée, les infirmiers ont réussi une révolution. Pourquoi ne pourrait-on pas aussi avoir une refonte profonde de notre profession ? »

JOURS DE GRÈVE

Les syndicats comptent donc sur la base pour soutenir l’ensemble des revendications. Après la gifle du Ségur de la santé assénée aux sages-femmes au cours de l’été 2020, la colère perdure. Suite à des initiatives plus isolées ou spontanées exprimant le mécontentement des sages-femmes, le mouvement unitaire a vraiment été lancé le 26 janvier dernier, avec une première grève nationale. Malgré les restrictions sanitaires dues à la crise du Covid, plusieurs centaines de sages-femmes ont crié leur ras-le-bol un peu partout en France, en métropole, mais aussi en Guyane, à La Réunion ou à Mayotte. Elles se sont rassemblées devant les maternités, les ARS locales et le ministère de la Santé et des Solidarités. Et les trois syndicats, accompagnés de l’Anesf, ont été reçus par des membres du cabinet du ministre. « C’est l’étage politique qui nous a rencontrés, celui qui décide, et pas l’étage technique, celui qui applique les décisions, se félicitait alors Vincent Porteous, sage-femme au CHRU de Lille et membre de l’Ufmict-CGT. C’est une bonne nouvelle. Ils nous prennent au sérieux. » Les conseillers ministériels, qui ont accordé deux heures aux sages-femmes, ont montré une bonne connaissance des dossiers, selon l’intersyndicale.

Une nouvelle rencontre devait se tenir le 10 février, avant d’être repoussée au 24 février. Pour soutenir la pression, les organisations syndicales ont maintenu leur appel commun à la grève du 10 février. Impossible de connaître les taux de grévistes, car nombre de sages-femmes sont assignées à leur poste, ne se déclarant alors pas forcément grévistes, quand certaines sont en repos. « Le comptage n’est pas précis, explique Vincent Porteous, de l’Ufmict-CGT. La mobilisation du 10 février semble avoir été un peu plus faible que celle du 26 janvier. Surtout, les établissements ne font pas remonter leur taux de grévistes aux ARS, qui ne font elles-mêmes pas remonter au ministère quand, de son côté, le ministère communique de moins en moins. » Les réseaux sociaux ont cependant été émaillés de photos de piquets de grève devant les hôpitaux.

Le 24 février, troisième jour de grève nationale, la rencontre a eu lieu par visioconférence, écourtée par les membres du cabinet du ministre. Les représentants de la profession, qui n’ont pas eu assez de temps pour échanger, ont été très déçus. Principale information : l’Inspection générale des affaires sociales (Igas) devrait être chargée d’établir un rapport sur la profession. Difficile d’en apprendre davantage. L’inspection devrait rendre sa copie à l’été, au mieux. Aussi, l’appel à la grève le 8 mars, journée internationale de lutte pour les droits des femmes, est-il plus que jamais maintenu. Concernées au premier chef par les demandes des sages-femmes, les « usagères » seront-elles de la partie ? Les revendications des sages-femmes ne risquent-elles pas d’être noyées dans le flot des exigences féministes ? Vu l’ampleur des demandes et le besoin de victoires de la profession, plusieurs acteurs s’attendent à devoir durcir le mouvement au delà de la date symbolique du 8 mars.

■ Géraldine Magnan