Préconisations – Insuffisance d’analgésie au cours de la césarienne sous anesthésie périmédullaire : Prévention - Prise en charge immédiate et différée - Club d’anesthésie-réanimation obstétricale (Caro) - Mars 2021

STRUCTURE ORGANISATRICE : Club d’anesthésie-réanimation obstétricale (Caro)

COMITÉ DE PILOTAGE : 

• Dan BENHAMOU : Département d’anesthésie-réanimation, Groupe hospitalier et Faculté de médecine Paris Sud (Caro, Sfar, SoFraSimS)

• Hawa KEITA-MEYER : Service d’anesthésie-réanimation pédiatrique et obstétricale, Hôpital Necker-Enfants malades, 149 rue de Sèvres, 75015 Paris (Caro)

• Philippe DERUELLE : Pôle de gynécologie-obstétrique, Hôpitaux universitaires de Strasbourg, Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF)

• Anne EVRARD : Coprésidente du Ciane (Collectif interassociatif autour de la naissance), 40 rue de Chanzy, 75011 Paris

Auteur correspondant : Hawa KEITA-MEYER : Service d’anesthésie-réanimation pédiatrique et obstétricale, Hôpital Necker-Enfants malades, 149 rue de Sèvres, 75015 Paris

E-mail : hawa.keita@aphp.fr

Résumé

Objectifs : La fréquence de l’insuffisance d’analgésie pour la césarienne varie selon les études entre 0,5 % – 17 % pour la rachianesthésie et 1,7 % – 20 % pour l’extension d’analgésie péridurale. L’objectif de ces préconisations est de donner des règles de bonne pratique à l’ensemble des professionnels impliqués dans la prise en charge des femmes césarisées sous anesthésie périmédullaire afin de prévenir, reconnaître, traiter et suivre les insuffisances d’analgésie.

Méthode : Le groupe s’est efforcé de produire un nombre minimum de préconisations afin de mettre en avant les points forts à retenir de cinq thèmes prédéfinis : (1) Évaluation du bloc avant incision et comment obtenir un bloc correct ; (2) Délai décision-extraction : définition du délai maximum acceptable, organisation et communication au sein de l’équipe ; (3) Reconnaître, prendre en compte et gérer la douleur avant et après incision ; (4) Prévention, identification et gestion de l’état de stress post-traumatique ; (5) Aspects médico-légaux.

Résultats. Le groupe a produit 24 préconisations pour la prise en charge des femmes dans le cadre d’une césarienne sous anesthésie périmédullaire. Dix de ces préconisations ont été identifiées comme clés par les experts. De même, une aide à la décision a été produite afin de préparer et guider au mieux les équipes.

Conclusion : Ces préconisations ont pour but d’induire une prise de conscience et une amélioration des pratiques professionnelles pour que la césarienne « à vif » ne soit plus un aléa acceptable, mais un événement indésirable grave, prévenu et combattu par tous.

Mots-clés : préconisations, césarienne, anesthésie périmédullaire, insuffisance, analgésie, pratiques professionnelles

PARTENAIRES : 

Sociétés savantes : Le Collège national des gynécologues et obstétriciens français (CNGOF), La Société française d’anesthésie-réanimation (Sfar), La Société française de médecine périnatale (SFMP),
Le Collège national des sages-femmes (CNSF), La Société francophone de simulation en santé (SoFraSimS)

Autres catégories de partenaires : Experts médecine légale, Infirmier-anesthésiste diplômé d’État, Infirmier de bloc opératoire diplômé d’État, Le Collectif interassociatif autour de la naissance (Ciane), L’association « Césarine », La Société francophone de psychologie périnatale (SFPP)

GROUPES DE TRAVAIL ET EXPERTS

Évaluation du bloc avant incision et comment obtenir un bloc correct

Martine BONNIN (Clermont-Ferrand, Caro), Benjamin JULLIAC (Bordeaux, Caro), Frédéric J. MERCIER (Clamart, Caro), Stéphanie HYENVEUX (Clermont-Ferrand, IADE), Jade MERRER (Paris, CNSF)

Délai décision-naissance : définition du délai maximum acceptable, organisation et communication au sein de l’équipe (AR, GO)

Dominique CHASSARD (Lyon, Caro), Denis GALLOT (Clermont-Ferrand, SFMP), Estelle MORAU (Narbonne, Caro), Adeline CASTEL (Toulouse, Caro), Elizabeth GROSSETTI (Havre, SFMP), Françoise RIFAUD (Clermont-Ferrand, Ibode)

Reconnaître, prendre en compte et gérer la douleur avant et après incision

Lionel BOUVET (Lyon, Caro), Catherine FISCHER (Paris, Caro), Hawa KEITA-MEYER (Paris, Caro), Béatrice GUYARD-BOILEAU (CNGOF), Anne EVRARD (Paris, Ciane), France ARTZNER (Paris, Ciane), Marie-Pierre BONNET (Paris, Sfar)

Prévention, identification et gestion de l’état de stress post-traumatique (ESPT)

Anne-Sophie DUCLOY (Lille, Caro), Florence VIAL (Nancy, Caro), Philippe DERUELLE (Strasbourg, CNGOF), Estelle MORAU (Narbonne, Caro), Laurent GAUCHER (Lyon, CNSF), Pauline DOLLET (Lille, IADE), Anne EVRARD (Paris, Ciane), France ARTZNER (Paris, Ciane), Françoise MOLENAT (Lille, SPP), Marie-Laure CHARKALUK (Lille, SFMP), Françoise RIFAUD (Clermont-Ferrand, Ibode)

Insuffisance d’analgésie au cours de la césarienne sous anesthésie périmédullaire : aspects médico-légaux

Éric LOPARD (anesthésiste-réanimateur et médecin conseil d’assurances), François VIALLA (professeur de droit, université de Montpellier UMR 5815)

Simulation : gestion du stress en situation de crise (haute-fidélité), relation médecin/patiente (patiente simulée)

Dan BENHAMOU (Bicêtre, Caro, Sfar, SoFraSimS), Anne EVRARD (Paris, Ciane), France ARTZNER (Paris, Ciane), Guillaume LEGENDRE (Angers, CNGOF), Norbert WINER (Nantes, CNGOF)

GROUPE DE LECTEURS :

Loïc SENTILHES (Bordeaux, CNGOF), Michel DREYFUS (Caen, SFMP), Patrick FOURNET (Rouen, CNGOF), Hervé BOUAZIZ (Nancy, Sfar), Kamel REZIG (Montreuil, anesthésiste-réanimateur), Agnès LE GOUEZ (Clamart, anesthésiste-réanimateur), Marie BRUYERE (Bicêtre, anesthésiste-réanimateur), Priscille SAUVEGRIN (Paris, CNSF)

INTRODUCTION

La douleur peut survenir au cours d’une césarienne réalisée sous anesthésie périmédullaire (APM), que ce soit sous rachianesthésie (RA) ou sous anesthésie péridurale (APD). Cette douleur, non exceptionnelle puisque sa survenue est estimée entre 0,5 % à 17 % pour la rachianesthésie et 1,7 % à 20 % pour l’extension d’analgésie péridurale (1-8), correspond à un échec ou à une insuffisance de la technique d’anesthésie périmédullaire. Le défaut ou l’insuffisance d’analgésie lors d’une césarienne est, à juste titre, un motif de plainte des femmes à l’encontre des équipes d’obstétrique et d’anesthésie. Elle peut être à l’origine de souffrances physiques et psychiques aux conséquences graves. Elle impose une prise en charge adaptée à court/moyen terme, voire dans certains cas à long terme et en particulier en présence d’un état de stress post-traumatique. C’est dans ce contexte qu’un groupe de travail pluriprofessionnel a été mis en place sous l’égide du Caro, de la Sfar, du CNGOF et de plusieurs autres sociétés savantes (CNSF, SFMP, SoFraSimS…) auxquelles ont été associés des groupes représentant les patientes (Ciane, Césarine) afin que leur voix soit entendue pour établir des préconisations. Ces préconisations émanant du groupe de travail ont pour objectif de sensibiliser et de donner des règles de bonne pratique à l’ensemble des professionnels impliqués dans la prise en charge des femmes césarisées sous anesthésie périmédullaire pour la prévention, la reconnaissance, le traitement et le suivi des défauts et/ou insuffisances d’analgésie.

MÉTHODOLOGIE

Ces préconisations sont le résultat d’un travail collaboratif, multidisciplinaire incluant des anesthésistes-réanimateurs, des obstétriciens, des néonatologistes, psychiatres, des sages-femmes, des infirmières anesthésistes et des juristes. La méthodologie utilisée pour l’élaboration de ces préconisations a volontairement été pragmatique et logique. Le comité de pilotage a dans un premier temps identifié les thèmes à traiter ainsi que les coordonnateurs, puis les experts en charge de chacun des thèmes ont été désignés. Avant la rédaction des préconisations, il a été décidé d’adopter un format d’avis d’experts. Les préconisations ont ensuite été rédigées en fonction de ce que les experts suggèrent de faire ou de ne pas faire.Les préconisations proposées ont été présentées au groupe d’experts et discutées une par une. Les experts ont ensuite retenu 24 préconisations, dont 10 ont été jugées fondamentales. Enfin, une aide à la décision a été produite afin de préparer et de guider au mieux les équipes (voir annexe).

PRÉCONISATIONS

Les dix préconisations clés

Les experts suggèrent que :

  1. l’insuffisance et l’échec d’analgésie sont définis comme toute anesthésie périmédullaire conduisant à un complément souhaité par la patiente ;
  2. le confort exprimé par la patiente est tout aussi important que l’évaluation du niveau d’anesthésie. L’existence d’un inconfort majeur doit être prise en compte ;
  3. une analgésie péridurale imparfaite pendant le travail obstétrical expose au risque d’échec de conversion de la péridurale analgésique en péridurale anesthésique pour la césarienne en cours de travail. L’échec peut cependant également survenir lors d’une césarienne programmée avec une rachianesthésie et les mêmes critères de bonne pratique sont requis ;
  4. l’évaluation de l’adéquation du niveau sensitif avant l’incision repose sur la sensation de toucher léger ou de froid. Un niveau sensitif supérieur bilatéral et symétrique en T6 au toucher ± en T3 au froid est requis. Pour rappel : T6 = pointe xiphoïde, T4 = ligne mamelonnaire ;
  5. en cas de suspicion d’acidose fœtale, l’obstétricien décide du degré d’urgence de la césarienne et communique de manière intelligible avec les autres acteurs, par exemple à l’aide d’un système de communication simplifié et validé en équipe, type code couleur ;
  6. une anesthésie générale soit réalisée en présence d’une insuffisance d’anesthésie constatée juste avant ou dès l’incision pour césarienne code rouge ;
  7. une pause opératoire soit faite en cas de douleur peropératoire afin d’évaluer et traiter la douleur de manière adaptée au contexte ;
  8. une anesthésie générale soit réalisée en cas d’échec de la gestion médicamenteuse de la douleur, même avant clampage du cordon ;
  9. l’insuffisance d’analgésie en cours de césarienne soit tracée, de renforcer l’anesthésie locorégionale et/ou générale, d’accompagner la naissance puis de débriefer l’expérience douloureuse avec l’équipe, en particulier les soignants impliqués dans la prise en charge ;
  10. une évaluation des pratiques soit réalisée avec comme indicateurs le taux et les indications des césariennes en extrême urgence, mais également le taux de conversion en anesthésie générale suite à un échec d’APM.
Préconisations thème par thème
  1. Évaluation du bloc avant incision et comment obtenir un bloc correct

P1. 1 – Les experts suggèrent que l’insuffisance et l’échec d’analgésie sont définis comme toute anesthésie périmédullaire conduisant à un complément nécessaire par la patiente.

P1. 2 – Les experts suggèrent que le confort exprimé par la patiente est tout aussi important que l’évaluation du niveau d’anesthésie. L’existence d’un inconfort majeur doit être pris en compte.

Rationnel

Le confort maternel est à prendre en compte absolument. Le stress doit être considéré comme une forme d’inconfort. Dans ce cas, l’inconfort maternel, malgré un niveau métamérique satisfaisant, pourra avoir les mêmes conséquences qu’une insuffisance d’analgésie tant sur le déroulement que sur le vécu de la césarienne.

P1. 3 Les experts suggèrent que l’évaluation de l’adéquation du niveau sensitif repose sur la sensation de toucher ± de froid. Un niveau sensitif supérieur bilatéral et symétrique en T6 au toucher ± en T3 au froid est requis. Pour rappel : T6 = pointe xiphoïde, T4 = ligne mamelonnaire.

Rationnel

Plusieurs techniques d’évaluation sont retrouvées dans la littérature : piqûre d’épingle, toucher d’épingle, froid, toucher au spray. Le toucher évalue l’anesthésie tandis que le froid évalue l’analgésie. Un niveau métamérique bilatéral et symétrique T6 avec évaluation de la sensibilité épicritique par un toucher léger, associé à un niveau métamérique bilatéral et symétrique supérieur T3 avec évaluation au froid serait probablement la situation la plus efficace (9-13).

P1. 4 – Les experts suggèrent que le test de pincement cutané par l’obstétricien doit être systématiquement réalisé, même en situation d’urgence au niveau de la zone d’incision et doit toujours être fait au plus haut, en limite du champ opératoire (ombilic).
P1. 5 – Les experts suggèrent que, pour la rachianesthésie (RA), une dose de bupivacaïne hyperbare (HB) supérieure à 10 mg limiterait le risque d’échec. La dose est à adapter aux tailles extrêmes et à la présence d’un syndrome de compression cave.

Rationnel

Avec 10 mg de bupivacaïne hyperbare, il est classiquement obtenu un niveau sensitif supérieur T5 entre 4 et 6 minutes (14-16). Pour les tailles « extrêmes », inférieures à 155 cm ou bien supérieures à 170 cm, il semble licite de minorer ou majorer de ± 1 mg la dose totale de bupivacaïne. Le poids maternel doit également être pris en compte avec une relation inversement proportionnelle (17). La compression aorto-cave paraît jouer un rôle majeur. Il est donc suggéré d’augmenter la dose d’anesthésique local en cas de prématurité, retard de croissance intra-utérin (RCIU) et de la diminuer en cas de macrosomie ou de grossesses multiples (18). L’adjonction d’un morphinique liposoluble type sufentanil (2,5 µg à 5 µg) permet d’optimiser la qualité de l’anesthésie, de diminuer la dose d’anesthésique local associé et d’allonger la durée d’action de la rachianesthésie (19, 20), sans effet délétère néonatal.

P1. 6 – Les experts suggèrent que la rachianesthésie-péridurale combinée (RPC) peut limiter le risque d’échec par la présence du cathéter péridural qui permet l’injection d’un complément anesthésique.

Rationnel

En combinant une rachianesthésie et la mise en place d’un cathéter péridural, cette technique permet d’obtenir une anesthésie de qualité comparable à celle d’une rachianesthésie, tout en allongeant sa durée d’action grâce à l’utilisation du cathéter en cas de levée du bloc spinal. La technique repose sur l’administration intrathécale d’une faible dose de bupivacaïne hyperbare entre 5 et 8 mg avec un morphinique liposoluble et la morphine, suivi de la mise en place d’un cathéter péridural permettant secondairement d’ajuster le niveau d’anesthésie par l’administration à dose titrée de lidocaïne 20 mg/ml adrénalinée ou de ropivacaïne 5 à 7,5 mg/ml, après la réalisation d’une dose test (9).

P1. 7 – Les experts suggèrent qu’une analgésie péridurale imparfaite pendant le travail obstétrical expose au risque d’échec de conversion de la péridurale analgésique en péridurale anesthésique pour la césarienne en cours de travail.

Rationnel

Un bon niveau d’analgésie pendant le travail ne garantit pas un succès de conversion (21). Néanmoins, une analgésie insuffisante apparaît comme prédictible d’un échec de conversion (tableau).

P1. 8 – L’échec peut également survenir lors d’une césarienne programmée avec une rachianesthésie et les mêmes critères de bonne pratique sont requis.

Tableau : Facteurs de risque d’échec des différentes techniques d’APM

2. Délai décision-naissance : définition du délai maximum acceptable, organisation et communication au sein de l’équipe (Anesthésistes-Réanimateurs, Gynécologues-Obstétriciens)

P2. 1 – Les experts suggèrent qu’en cas de suspicion d’acidose fœtale, l’obstétricien décide du degré d’urgence de la césarienne et communique de manière intelligible avec les autres acteurs, par exemple à l’aide d’un système de communication simplifié et validé en équipe, type code couleur.

Rationnel

La surveillance fœtale pendant le travail a pour but de suspecter une acidose perpartum et en cas d’anomalie de décider ou non d’une naissance plus ou moins urgente du fœtus.

La détection de cette acidose repose en grande partie sur l’analyse du RCF (29).

Il existe plusieurs types de classifications des césariennes en fonction du degré d’urgence (30). Elles sont un outil censé améliorer la communication au sein de l’équipe obstétrico-anesthésique. L’équipe d’obstétrique définit l’indication et le degré d’urgence de la césarienne et l’équipe d’anesthésie choisit alors une anesthésie loco-régionale ou une anesthésie générale en fonction du temps disponible.

P2. 2 – Les experts suggèrent que dans chaque maternité, les procédures de transfert, d’installation des patientes, de modalité d’anesthésie en salle de césarienne soient optimisées pour minimiser le temps décision-incision.

P2. 3 – Les experts rappellent que la possibilité de réaliser un enregistrement du rythme cardiaque fœtal (RCF) à l’arrivée en salle de césarienne est une préconisation forte du CNGOF et du CNEMM (Comité national d’experts sur les morts maternelles).

Rationnel

Dans une méta-analyse, le risque d’insuffisance d’analgésie lors de conversion des péridurales pour césarienne en urgence était 40 fois plus fréquent dans les césariennes codes rouges comparativement aux autres césariennes (23). Tout délai supplémentaire, s’il n’est pas préjudiciable à l’enfant, est bénéfique pour l’installation d’une anesthésie loco-régionale. Contrôler le RCF à l’arrivée au bloc opératoire peut permettre de constater une récupération du rythme fœtal et peut faire reconsidérer par les obstétriciens le délai entre décision et incision.

P2. 4 – Les experts suggèrent qu’une évaluation des pratiques pourrait être réalisée avec comme indicateurs le taux et les indications des césariennes en extrême urgence, mais également le taux de conversion en anesthésie générale suite à un échec d’APM.

3. Reconnaître, prendre en compte et gérer la douleur avant et après incision

P3. 1 – Les experts suggèrent de réaliser une pause opératoire en cas de douleur peropératoire afin d’évaluer et traiter la douleur de manière adaptée au contexte.

Rationnel

La gestion dépend alors du caractère programmé ou du degré d’urgence de la césarienne, qui conditionne la stratégie de gestion de la douleur peropératoire (31, 32). La communication avec l’équipe obstétricale est fondamentale pour préciser le délai accordé pour la mise en place d’une anesthésie alternative et une pause opératoire s’impose. Dans certains cas, le maintien de la surveillance du rythme cardiaque fœtal au bloc opératoire peut aider à la prise de décision. La patiente doit également être informée du type de prise en charge proposée et son accord doit être obtenu.

P3. 2 – Les experts suggèrent de réaliser une anesthésie générale en cas d’échec constaté d’une APM juste avant ou dès l’incision pour césarienne code rouge.

Rationnel

Le délai décision-extraction de 15 à 30 minutes restreint le choix de la technique d’anesthésie. Dans ces circonstances, la césarienne doit être réalisée au plus vite. En cas d’échec de la rachianesthésie ou de la conversion de l’analgésie péridurale et étant donné le délai court, la réalisation d’une anesthésie générale s’impose si la patiente présente des douleurs dès l’incision témoignant d’une inefficacité complète de l’anesthésie périmédullaire.

P3. 3 – Les experts suggèrent d’administrer par voie intraveineuse de faibles doses d’un opioïde de courte durée d’action (alfentanil ou rémifentanil) ou des doses infra-anesthésiques de propofol ou kétamine en cas d’insuffisance d’analgésie constatée en cours d’intervention.

Rationnel

L’administration peropératoire d’opiacés semble logique pour traiter une douleur peropératoire et devrait probablement être proposée en première intention. Cette technique doit être réalisée avec prudence afin de préserver une ventilation spontanée et d’éviter ainsi le recours à la ventilation au masque facial et de limiter de risque d’inhalation pulmonaire du contenu gastrique. Elle doit être associée à une oxygénation de la patiente.

L’administration d’hypnotique en cas de douleur peropératoire peut être proposée ; il faut dans ce cas privilégier des molécules au profil pharmacocinétique et pharmacodynamique favorable (propofol), ou qui présentent des propriétés analgésiques (kétamine).

L’administration d’opioïdes ou d’hypnotiques avant le clampage du cordon peut être à l’origine de dégradation du score d’Apgar pendant les premières minutes de vie, et donc doit être connue du néonatologue (33).

P3. 4 – Les experts suggèrent de réaliser une anesthésie générale en cas d’échec de la gestion médicamenteuse de la douleur, même avant le clampage du cordon.

P3. 5 – Les experts suggèrent que l’efficacité de toute action de complément d’anesthésie doit être réévaluée.

4. Prévention, identification et gestion de l’état de stress post-traumatique (ESPT)

P4. 1 – Les experts suggèrent d’informer les femmes au cours de préparation à l’accouchement et dans les feuillets d’information de l’éventualité d’une analgésie insuffisante et des solutions possibles alors mises en œuvre, y compris en cas de césarienne.

Rationnel

Les patientes doivent être informées lors de la consultation d’anesthésie des techniques anesthésiques qui peuvent être réalisées en cas de césarienne urgente ou programmée. L’information doit aussi porter sur le risque d’échec des techniques d’anesthésie périmédullaire pour césarienne ainsi que des stratégies qui peuvent être proposées en cas d’échec : recours à une autre technique d’anesthésie périmédullaire, complément d’analgésie intraveineux ou anesthésie générale. En particulier, les situations de stress et d’anxiété maternelle doivent être identifiées lors de la consultation d’anesthésie (antécédents de grossesses et d’accouchements traumatiques, antécédents d’accidents d’anesthésie…).

P4. 2 – Les experts suggèrent de tracer l’insuffisance d’analgésie en cours de césarienne, de renforcer l’anesthésie loco-
régionale et/ou générale, d’accompagner la naissance puis de débriefer l’expérience douloureuse avec l’équipe, en particulier les soignants impliqués dans la prise en charge.

P4. 3 – Les experts suggèrent d’identifier la sidération et le soin psychique d’urgence (defusing) en post-partum, et à distance de diagnostiquer l’état de stress post-traumatique (ESPT) en explorant le bien-être maternel et la relation mère-enfant, ensuite de confier la patiente à des spécialistes de l’ESPT pour une prise en charge par des techniques adaptées de psychothérapie.

Rationnel

Une césarienne avec insuffisance d’analgésie ou le dépistage de signes de souffrance doit conduire les équipes soignantes à une prise en charge spécifique dès le séjour en maternité. L’état de sidération est le plus fréquent, les femmes ne parlent pas ou peu. Dans les cas sévères, la violence éprouvée au moment des évènements s’est verrouillée avec des éléments traumatiques préalablement vécus, et ce pour maintenir un minimum de continuité psychique, au prix de clivages, d’évitement, de « gel de la pensée ».

La suspicion de cet état de sidération se fera également grâce à l’attention fine de l’équipe soignante qui peut détecter un comportement maternel « opératoire » décrit comme une attitude « technique » ou automatique face au bébé. L’investissement affectif et ajusté est compliqué, voire impossible. La sidération est marquée par l’absence d’émotions positives ou négatives et éventuellement par le comportement agité ou hypersomnique du bébé. Le témoignage du conjoint peut contribuer à la détection de sidération.

Le premier temps de la prise en charge immédiate consiste à réaliser un défusing, sorte de déchocage psychologique (34). Son but est d’éviter un nouveau traumatisme, une transformation de la patiente en victime, en victime dépendante, et d’aider activement ses mécanismes de défense en luttant contre l’évitement, le regard critique, la banalisation ou la minimisation de la situation vécue ou des émotions ressenties.

5. Insuffisance d’analgésie au cours de la césarienne sous anesthésie périmédullaire : aspects médico-légaux

P5. 1 – Les experts rappellent qu’une information préanesthésique adaptée (art. D. 6124-91 et D. 6124-92 du CSP) est le fondement d’un consentement libre et éclairé aux actes proposés, mais doit également en situer les limites, que ce soient les imperfections ou les échecs.
P5. 2 – Les experts rappellent que l’article L 1110-5-3 du Code de la santé publique dispose que « toute personne a le droit de recevoir des traitements et des soins visant à soulager sa souffrance …/… celle-ci devant être, en toutes circonstances, prévenue, prise en compte, évaluée et traitée ».

Références


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P5. 3 – Les experts rappellent qu’en terme de préjudice corporel, les dommages les plus fréquemment observés incluent la prolongation et la majoration de l’intensité des gênes temporaires partielles, une chronicisation des douleurs et l’apparition de troubles neuropsychologiques pouvant témoigner d’un syndrome de stress post-traumatique.

ANNEXES