Rééducation chez la nullipare, une compétence à défendre ?

La dyspareunie est un problème fréquent rencontré par les femmes. Parfois négligé, il entraine une errance médicale. Mais l’origine des douleurs est complexe et mêle le physique au somatique. 

Orlane* vient nous consulter pour un bilan périnéal pour dyspareunie. Elle a déjà consulté une gynécologue pour ce problème. Celle-ci lui a conseillé le recours à des dilatateurs, mais Orlane n’a jamais acheté ces accessoires. Elle qualifie spontanément cette consultation de « violente ». 

Depuis, elle a été prise en charge sur le plan gynécologique par une collègue sage-femme qui lui a parlé de la possibilité de réaliser un bilan périnéal.

Orlane a 19 ans. Elle a des rapports sexuels depuis deux ans. Elle rapporte des douleurs dès le premier rapport. Dans un premier temps, elle explique ces douleurs par une allergie au latex du préservatif. Mais le problème persiste avec son partenaire actuel (second partenaire). Âgé lui aussi de 19 ans, elle le décrit « bienveillant », « très à l’écoute » et « respectant ses limites ». 

Qu’est-ce que la dyspareunie ?

« La dyspareunie est une douleur génitale récidivante ou persistante associée à un rapport sexuel. Les dyspareunies primaires, présentes depuis le début de la vie sexuelle, sont à distinguer des dyspareunies secondaires, survenant après une sexualité non douloureuse initialement. Il existe des dyspareunies superficielles et profondes » [1].

La dyspareunie féminine est dite superficielle, ou d’intromission, lorsqu’elle est localisée à l’entrée du vagin au début de la pénétration. La dyspareunie est profonde quand la douleur se manifeste au niveau du bas ventre ou dans le fond du vagin, lorsque la pénétration est complète. La dyspareunie primaire est celle qui se manifeste dès les premiers rapports sexuels. La dyspareunie est dite secondaire si elle survient après une période de rapports sexuels normaux et satisfaisants. 

La dyspareunie affecterait 7 à 10 % des femmes, en fonction de leur âge [2]. Ces douleurs fréquentes sont souvent mal comprises, voire « négligées », et entrainent une errance médicale des femmes.

Concernant Orlane, il s’agit d’une dyspareunie primaire superficielle. 

Orlane est étudiante en chiropraxie. Elle vit chez ses parents. Sur le plan médical, l’interrogatoire met en évidence :

  • des allergies multiples (alimentaires, pollens, acariens, latex…) avec crises d’asthme répétées nécessitant un traitement de fond de corticoïdes ;
  • un syndrome de jambes sans repos nécessitant un traitement antiépileptique ;
  • des troubles du sommeil pour lesquels elle serait suivie par un neurologue (elle ne nous en dira pas plus) ;
  • dans l’enfance, freinectomie de la lèvre supérieure suite à des soins d’orthodontie ;
  • des antécédents familiaux d’endométriose (mère et tante).

Orlane ne présente pas de douleurs chroniques. Un bilan d’endométriose a été prescrit par notre consœur : aucune anomalie n’a été retrouvée. La contraception est assurée depuis trois mois par un SIU.

C’est une jeune femme en apparence très à l’aise avec son corps, très musclée et très souple. Elle a pratiqué 8 ans de danse classique et 3 ans de renforcement musculaire. Depuis trois ans, elle pratique de l‘aérien dans une école de cirque.

En revanche, Orlane est en permanence sur la défensive, très rigide et cassante. On n’a rien à lui apprendre : elle dit qu’elle « sait » à tout bout de champ. 

Si elle n’a pas été victime de violences ni physiques ni sexuelles, elle évoque très facilement une relation « très difficile » avec ses parents. Elle qualifie sa mère de « mauvaise mère ». En conflit avec celle-ci dans la petite enfance, elles seraient aujourd’hui devenues très fusionnelles. Interrogeant ce retournement, elle nous répond du tac au tac : « Ce n’est pas un souci »… Nous n’insisterons pas. Quant à son père, il semble s’être beaucoup occupé d’elle petite. Elle le décrit très autoritaire, dit qu’il fonctionne sur le mode « c’est moi le chef ».

Elle a été suivie par une psychologue vers l’âge de 5/6 ans à l’occasion de la naissance de sa sœur puis vers 14/15 ans. À cette période, bénéficiant d’un échange scolaire, elle a quitté six mois sa famille pour aller vivre dans une famille allemande avec laquelle elle a eu des relations très conflictuelles.

Depuis six mois, elle fait un travail avec une sophrologue. Elle n’envisage pas de revoir une psychologue, car « tout cela coûte cher et prend du temps ». Nous lui expliquons que l’examen gynécologique n’est pas obligatoire à ce stade, mais elle le souhaite. Cet examen est réalisé en position de Tredelembourg [3], pour décharger le périnée, ne permettant l’introduction que de la pulpe du majeur. Nous l’invitions à lever les fesses et à déplacer son bassin vers nous. L’intromission totale du doigt se fait alors sans difficulté. 

Le testing retrouve un périnée hypertonique, rigide au niveau du vestibule. Le plan profond se mobilise, confirmant une bonne conscience de la contraction musculaire. La muqueuse est très sèche. 

Nous proposons donc dans un premier temps :

  • une meilleure hydratation (un calendrier mictionnel sur 24 heures montrera une consommation de 1,1 litre pour une journée, avec 45 minutes d’entrainement au cirque) ;
  • des probiotiques per os pour réguler le transit (alternance diarrhée, constipation) ;
  • des ovules d’acide hyaluronique par voie vaginale ;
  • la pratique de l’automassage avec de la crème ou de l’huile ; 
  • un travail posturo-respiratoire pour travailler la détente du périnée et maîtriser les bases d’un renforcement abdominal sans pression sur le périnée. Elle nous dit d’ailleurs qu’elle « connait très bien le travail du docteur de Gasquet ». Et secondairement, un travail avec des boules de geisha, si elle le souhaite.

Nous lui proposons la lecture d’un livre qui interroge sur la place de la pénétration dans les relations femmes-hommes et qui, témoignages à l’appui, nous invite à réfléchir à une autre forme de sexualité que le modèle femme pénétrée/homme pénétrant [4].

La dyspareunie superficielle étant très proche de la vulvodynie, nous évoquons la possibilité d’une consultation d’une spécialiste de la vulvodynie. Nous proposons aussi la possibilité d’un travail en sexocorporel avec une consœur ou encore un travail d’ostéopathie intracavitaire. Elle refusera toutes ces propositions. Nous faisons donc un courrier à son médecin traitant en vue d’une prescription de rééducation du périnée qu’il lui accordera sans difficulté. Les séances commenceront après la période d’examens scolaires, pendant ses vacances d’été.

Après cinq séances de travail posturo-respiratoire avec la méthode de Gasquet [5] et alors qu’elle ne souhaite toujours pas pratiquer l’automassage, Orlane dit souhaiter acheter des boules de geisha.

Par leur forme en amande, les joyballs sont plus adaptées pour cette indication. © D.R.

Des « joyballs » sont mises et enlevées sans difficulté durant la sixième séance. La jeune femme a bien ressenti les vibrations déclenchées lors de la mobilisation. À la séance suivante, Orlane décrit des douleurs pendant trois heures suite à cette expérience. Nous lui proposons de reprendre l’exercice, mais cette fois de garder les boules (elle sait comment procéder pour le retrait en douceur), de rentrer chez elle et d’aller se détendre dans un bain chaud. Elle ne rapportera pas d’effet secondaire. Nous l’invitons à recommencer l’exercice chaque fois qu’elle a un peu de temps. Les boules seront gardées une heure maximum. Nous l’invitons à se concentrer sur les sensations avant/après. Nous lui suggérons de se masturber avec les boules.

UNE COMPÉTENCE À DÉFENDRE 

La rééducation du périnée n’est autorisée aux sages-femmes que pour les femmes ayant eu des enfants. Alors que les sages-femmes sont déclarées compétentes pour réaliser le suivi gynécologique de toutes les femmes, cette restriction est limitante et aberrante. Actuellement, en fonction des caisses régionales d’assurance maladie, la rééducation périnéale d’une nullipare par une sage-femme, suite à l’ordonnance d’un médecin, est plus ou moins tolérée.

Après neuf séances, on note une réduction de la douleur à la pénétration de 30 %. Nous lui proposons de continuer à pratiquer avec les boules et les exercices posturo-respiratoires, de penser aux massages. Elle continuera les séances de sophrologie par ailleurs. Elle nous confie d’ailleurs avancer avec la sophrologue sur l’estime d’elle-même. 

Dans ce type de pathologie, une approche pluridisciplinaire est souhaitable, car il existe de multiples composantes qui interfèrent : physiques, psychologiques, familiales, culturelles, relationnelles… Dans ce cas, nous nous interrogeons sur combien de maux et de mots, combien de temps, combien de rencontres, il lui faudra encore pour arriver à déverrouiller son périnée. Le périnée, la porte du temple en grec ancien.

* Le prénom a été modifié

Sophie Frignet, sage-femme libérale et formatrice à l’Institut de Gasquet, est l’autrice du livre Le Périnée des filles aux éditions de l’Éveil (2018).

Elle déclare des liens d’intérêt avec l’Institut de Gasquet.

Références bibliographiques

[1] https://www.edimark.fr/lettre-gynecologue/dyspareunie-peut-on-venir-a-nbsp-bout

[2] Michel KR et al. Painful sex (dyspareunia) in women : prevalence and associated factors in a British population probability survey. Bjog, janvier 2017

[3] Sophie Frignet. Vulvodynie, prise en charge en rééducation. Profession Sage-Femme n° 283, Juillet-Août 2022

[4] Martin Page. Au-delà de la pénétration. Le Nouvel Attila, 2019

[5] De Gasquet B. Périnée, arrêtons le massacre. Marabout, 2011