Toute mastite peut être révélatrice d’un cancer

Une mastite durant l’allaitement est bien souvent inflammatoire ou infectieuse. La recherche des étiologies et un contrôle à distance sont toutefois indispensables, car toute mastite peut être révélatrice d’un cancer. 

Ingrid* consulte, car elle présente depuis quelques jours une douleur localisée au cadran supéro-externe du sein gauche. Cette douleur est exacerbée durant la tétée. Elle présente une légère fébricule (température de 38 °C), mais aucune altération de son état général ni de syndrome grippal. Il est à noter que son bébé, Simon*, âgé de 3 mois, présente des troubles de la succion depuis deux semaines environ et ne prend plus de poids. L’examen clinique de l’enfant révèle une nette plagiocéphalie qui pourrait être à l’origine des troubles de la succion. L’examen clinique de la mère et l’anamnèse semblent en lien avec une mastite inflammatoire. Il n’y a pas à ce stade d’élément évocateur d’un risque infectieux et cette mastite semble liée à un défaut de vidange, probablement lié aux troubles de la succion.

Les conseils adéquats sont alors prodigués : repos, tétées fréquentes et, au vu des troubles de la succion, je préconise l’utilisation d’un tire-lait systématiquement après chaque tétée et au moins toutes les deux heures. Le lait recueilli sera donné en complément à Simon. En parallèle, nous entamons la prise en charge pluridisciplinaire de la plagiocéphalie et des troubles de la succion. Ingrid prendra également du paracétamol et un anti-inflammatoire en l’absence de risque infectieux identifié et en l’absence de contre-indication (médicaments en vente libre).

Je demande à Ingrid de me tenir informée de l’évolution dans les 24 heures qui suivent et la revois dans un premier temps au bout de 48 heures pour réévaluer la situation. Au bout de 24 heures, il y a une nette amélioration des symptômes, ce qui confirme l’idée qu’il s’agit bien d’une mastite infectieuse. Au bout de 48 heures, les symptômes ont régressé, même s’il demeure une légère douleur pendant les tétées ou les tirages. Nous nous concentrons alors principalement sur la prise en charge de la plagiocéphalie et des troubles de la succion de son bébé, avec une prise en charge par de la kinésithérapie et la rééducation fonctionnelle des troubles de la succion par un orthophoniste.

Je revois régulièrement Ingrid et Simon pour la rééducation de la succion et l’évaluation de la lactation. Trois semaines après l’épisode de mastite, je réalise un nouvel examen clinique du sein afin de m’assurer que la mastite n’a laissé aucune séquelle, comme un abcès passé inaperçu notamment. À l’examen, je perçois une masse indurée relativement profonde, bien délimitée et peu mobile d’environ 3 cm de diamètre. Je prescris alors une échographie mammaire +/- mammographie et l’adresse à un médecin pour le diagnostic.

L’examen échographique montrant des images pouvant faire suspecter un cancer, le radiologue réalise une mammographie qui confirme le diagnostic. Ce cancer nécessitera une mastectomie et une chimiothérapie. Ingrid est alors âgée de 24 ans. Il était prévu qu’elle entame un suivi par mammographie à partir de 25 ans en raison d’antécédents familiaux de cancer mammaire (BAR-CA2).

Discussion 

La mastite est une pathologie fréquente durant l’allaitement. Sa prévalence est estimée entre 3 et 20 % des allaitements [1].

Une des classifications usuelles des mastites consiste à distinguer les mastites inflammatoires des mastites infectieuses qui ne nécessiteront pas les mêmes prises en charge [2].

En l’absence de facteur de risque infectieux et devant un tableau clinique dont la symptomatologie ne laisse pas penser à un état infectieux, il y a donc tout lieu de penser à une mastite inflammatoire. Une prise en charge par du repos, des anti-inflammatoires et/ou antalgiques de palier I (paracétamol) et surtout des tétées ou vidanges fréquentes sont les piliers du traitement de ce type de mastite [1]. Leur cause principale est en effet un défaut de vidange et, dans ce cas précis, s’ajoutaient des troubles de la succion probablement en lien avec une plagiocéphalie.

Toutefois, il convient de rester très prudent quant à l’évolution de toute mastite et de prévoir un suivi attentif, y compris à distance de l’épisode inflammatoire, car toute mastite peut être révélatrice d’un cancer, surtout si elle n’est pas totalement résolue après 3 à 5 semaines [3].

En cas de doute, l’échographie mammaire est l’examen à réaliser en premier lieu et peut tout à fait être prescrite par une sage-femme. En effet, dans le cadre des suivis gynécologiques de prévention et pour une visée diagnostique, les sages-femmes peuvent être amenées à prescrire une échographie mammaire à une patiente. Cependant, si cette prescription fait suite au diagnostic d’un élément pathologique, nous devons nous assurer que la patiente bénéficiera d’une consultation avec un médecin dans les meilleurs délais [4].

Conclusion 

La prise en charge d’une mastite doit toujours être rigoureuse et inclure non seulement une solide anamnèse, un diagnostic différentiel entre mastite inflammatoire et mastite infectieuse afin que la prise en charge la plus adaptée soit proposée. Dans le cadre d’une mastite inflammatoire, une prise en charge rapide non médicamenteuse associée à un traitement antalgique doit apporter une amélioration des symptômes en 24 à 48 heures, sans quoi, il sera intéressant de réévaluer la situation et notamment l’évolution vers une mastite infectieuse. En cas de facteurs de risques, de symptômes d’emblée sévères ou d’absence d’amélioration rapide malgré une prise en charge correcte, il sera de notre devoir d’adresser la patiente à un médecin afin d’évaluer la mise en place d’une antibiothérapie pour une durée minimale de dix jours. En effet, les traitements plus courts sont associés à un risque important de récidive [2].

Toutefois, il ne faut pas négliger l’importance d’un rendez-vous de contrôle à distance de l’épisode aigu même si les symptômes ont régressé, car il y a toujours un risque d’abcès, voire de révélation d’un cancer qui n’est pas provoqué par la mastite, mais révélé par celle-ci. 

* Les prénoms ont été modifiés

Céline Dalla Lana, sage-femme, consultante en lactation IBCLC, formatrice, autrice.
L’autrice ne déclare aucun conflit d’intérêts avec l’industrie pharmaceutique, industrielle ou agro-
alimentaire.

Références bibliographiques

[1] Amir LH et le Comité des Protocoles de l’Academy of Breastfeeding Medicine. Protocoles de l’Academy of Breastfeeding Medicine. Protocole clinique n°4 – Mastite ABM Clinical Protocol # 4 : Mastitis – Révision Mars 2014. Breastfeed Med 2014; 9(5) : 239-43.

[2] WHO. Mastitis : causes and management. 2000 (version française : WHO. Mastite: causes et prise en charge. 2004)

[3] Mandal MD. Mastitis and breast cancer. New Medical Life Science, Feb 27, 2019 https://www.news-medical.net/health/Mastitis-and-Breast-Cancer.aspx

[4] Journée des conseils départementaux de l’Ordre : Le Champ de prescription des sages-femmes ; http://cosf59.fr/2014/02/16/journee-des-conseils-departementaux-de-lordre-le-champ-de-prescription-des-sages-femmes/#:~:text=Dans%20le%20cadre%20des%20suivis,%C3%A9chographie%20mammaire%20%C3%A0%20une%20patiente.